« L’histoire des Entreprises publiques locales est indissociable de celle de la décentralisation ». Les propos de Jacques Chiron, actuel président de la Fédération dans La Gazette des communes du 6 juillet 2016 à l’occasion des 60 ans de la Fédération, font référence à plus de 30 ans de décentralisation, sans oublier les années de combat qui ont précédé (lire Les élus se rebiffent, 1973-1981).
Entre 1999 et 2004, la nouvelle vague de réformes décentralisatrices n’y déroge pas. Elle renforce notamment l’intercommunalité et ouvre de nouveaux champs d’activité, ce qui crée un regain d’intérêt pour la création de Sem. Il est aussi question de clarifier leur statut de société anonyme et le rôle des élus au sein de leurs instances.
« La loi de modernisation des Sem de 2002 vient sécuriser leurs liens financiers et juridiques avec les collectivités locales, explique Paul Girod, à l’époque sénateur de l’Aisne et rapporteur de la loi au Sénat. Quand un élu est délégué au conseil d’administration d’une Sem par une collectivité actionnaire, sa responsabilité pénale n’est plus individuelle mais devient celle de la collectivité, sauf bien sûr en cas de délits personnels. » « Cette clarification du rôle des élus est importante car elle incite aujourd’hui à la transformation de nombreuses associations en charge de missions d’intérêt public à se transformer en Sem, Société publique locale ou régie et concilier management d’entreprise et contrôle direct sur la structure », signale Jacques Chiron.
« L’histoire des Epl s’est toujours faite par les élus »
La loi est votée à l’unanimité et indique combien le rôle des parlementaires est important dans l’histoire récente des Epl et de leur Fédération. « Elle s’est toujours faite avec eux, et pas toujours avec l’État, parfois même contre », confie l’actuel président. La décennie qui suit vient le confirmer.
L’élargissement de la gamme des Epl résulte de la décision du mouvement des Epl à l’initiative de ses élus, de prendre en main son avenir. Elle n’a été rendue possible que par le dépôt de propositions de loi* au parlement, et non de projets de loi : en 2009 pour la Spl, en 2013 pour la SemOp, toutes deux adoptées à l’unanimité des deux chambres.
« En face, l’État s’est toujours montré prudent face à de tels bouleversements, qu’il s’agisse de l’administration centrale comme de certains ministres », reconnaît Jean-Léonce Dupont. Le président de la Fédération de 2011 à 2014, à l’origine de la proposition de loi UDI sur la création des SemOp, salue néanmoins l’appui déterminant d’Anne-Marie Escoffier, alors ministre déléguée aux Collectivités locales.
En 2010, la Spl avait déjà connu le même sort. « Les contestations ont été nombreuses sur l’implantation en France du modèle in house, ou contrats de prestations intégrées. Elles ne venaient pas seulement de l’État mais aussi d’organismes qui percevaient mal l’identité des nouvelles structures, et croyaient qu’elles venaient les concurrencer« , explique Daniel Raoul, sénateur du Maine-et-Loire et rapporteur de la loi sur les Spl. Le Medef va ainsi au contentieux en déposant plainte auprès de la commission européenne, et ce, pour la première fois de son histoire, pour non-conformité de la « loi Spl » au droit communautaire. Il sera débouté.
Quant à la première tentative d’élargissement avec la création des Spla en 2006, l’amendement déposé par les élus proches de la Fédération et retenu dans le projet de loi Engagement national pour le logement, spécifiait bien son caractère expérimental et limité au seul domaine de l’aménagement… à la demande du gouvernement.
« Une vraie pêche miraculeuse »
Pourquoi une telle audace de la part des élus et des parlementaires ? « Les Epl sont des outils créés par les élus pour leur territoire et sur lesquels ils ont la maîtrise politique et financière, c’est une opportunité de développement inouïe qu’ils ne mesurent pas toujours et que la Fédération se devait de développer », insiste Jean-Léonce Dupont. Pour cela, elle se base sur les travaux qu’elle avait lancés depuis la crise des années 90 et qui portent leurs fruits (lire L’envol, 1982-2001).
« L’ombre portée sur les Sem par cette crise l’a incitée à mener une enquête sur l’existence même de sociétés à capital public local dans les autres pays d’Europe. Elle se révèle être une vraie pêche miraculeuse, se souvient Thierry Durnerin, à l’œuvre à cette époque et depuis 2008 directeur général de la Fédération. On en recensait plus de 10 000, ainsi que plusieurs fédérations nationales. Alors que leur existence permettait de légitimer celle des Sem au moment où elles étaient remises en cause, la découverte d’autres entités proches d’elles servira plus tard à lancer la stratégie de gamme. »
La stratégie de gamme
En 2004, le conseil d’administration de la Fédération mandate un tout nouveau comité stratégie afin de tirer les conclusions de cette « pêche miraculeuse ». « Quelques mois après, nous remettons une feuille de route qui ouvre la voie à la diversification des modèles d’entreprises publiques », raconte Jean-Léonce alors président de ce comité. La gamme actuelle des Epl mettra 10 ans à naître, à force de débats et de combats politiques et juridiques.
« Aujourd’hui, la dynamique est bien lancée, il s’agit de l’ordonnancer pour permettre à cette gamme de s’élargir encore, avec notamment les opportunités de groupement et de mutualisation, tout juste naissants », imagine Jacques Chiron.
La Fédération, à l’initiative de cette dynamique, se doit aussi d’évoluer afin de l’accompagner au mieux. Le comité stratégie s’y attelle dès l’apparition des nouvelles structures réunies sous la marque ombrelle : les Entreprises publiques locales (Epl). Il propose à l’institution de changer de nom pour les accueillir. La Fédération des Epl naît en 2008 et crée le label « servir le public », comme rappel aux missions fondamentales d’intérêt général que ce nouveau modèle d’entreprise se devait de porter.
« D’une association, elle devient une entreprise »
En 2012, à l’issue d’une large consultation auprès de ses adhérents et de ses partenaires, la Fédération adopte un projet stratégique, « Epl Territoires 2020 » qui repose sur 3 piliers : l’action politique et la veille, le service aux adhérents et enfin la promotion de la gamme des Epl auprès des collectivités et des élus locaux pour leurs projets de développement local.
« D’une association, la Fédération devient une entreprise dotée d’une stratégie au service de ses Epl adhérentes et des élus, notre seule force ! », déclare Thierry Durnerin. Cette force est aussi mobilisée à l’échelle des fédérations régionales. « Le travail de proximité entamé 10 ans plus tôt passe par eux désormais, car ils sont à même de décider de l’avenir de leur territoire et de leurs outils de développement », déclare Martial Passi, qui sous sa présidence de 2008 à 2011, conduira le projet de nouvelle identité de la Fédération.
Le succès actuel des Epl ne se dément plus depuis. Une cinquantaine est créée par an depuis 2010, près du double des années précédentes. La plupart de ces nouvelles structures se constituent pour porter de nouveaux projets ou en relai d’une gestion associative ou d’une délégation à un opérateur privé. « Certes, la bonne santé du mouvement des Epl se mesure aux créations mais surtout à la capacité d’adaptation des Epl existantes », conclut Jacques Chiron en citant de nombreux cas de groupes, alliances et mutualisations.*Un projet de loi émane du gouvernement alors qu’une proposition de loi provient d’un parlementaire ou groupe de parlementaires, sénateurs ou députés.
Les lois créant les différentes composantes de la gamme Epl :
– SEM : à l’origine Loi n° 83-597 du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d’économie mixte locales codifiée au Code général des collectivités territoriales (CGCT) le 7 avril 2000. Modifiée par la loi n° 2002-1 du 2 janvier 2002 tendant à moderniser le statut des sociétés d’économie mixte locales,
– SPLA : article 20 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 autorisant les collectivités territoriales et leurs groupements à prendre des participations dans des sociétés publiques locales d’aménagement,
– SPL : loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales,
– SEMOP : loi n° 2014-744 du 1er juillet 2014 permettant la création de sociétés d’économie mixte à opération unique.