Le modèle économique de la montagne est-il à bout de souffle ? Bâti depuis la fin des années 1960 sur les sports d’hiver, le modèle est mis à mal, interrogé par ses propres acteurs, publics comme privé. Franck Lombard, premier vice-président du Conseil départemental de Savoie, n’hésite pas à dire que « le modèle est en train de mourir ».
Tout juste nommé expert pour l’organisation mondiale du tourisme (OMT), Philippe Lebrasseur, s’est attardé sur les raisons de cet essoufflement. Pour lui, « les acteurs de la montagne se sont contentés de faire perdurer le modèle par une amélioration continue mais sans penser à l’avenir. La ressource neige a concentré toute leur attention pendant près de 50 ans ».
Réchauffement climatique, globalisation de l’offre touristique, gouvernance collective, les nouveaux paradigmes de la montagne française l’oblige à repenser son modèle sous peine de perdre un pan majeur de son économie touristique et voir les pays émergents devenir les nouveaux leaders du marché sur la base de concepts très forts (ex.: route de la soie, biodiversité…) et d’une maîtrise différente de la nôtre, notamment en matière de gouvernance.
Passé le stade de prise de conscience, comment freiner la décroissance, ce mal que finit par connaître tout marché une fois arrivé à maturité ?
La question centrale de la gouvernance
Philippe Lebrasseur fait réagir l’auditoire en assénant que « l’innovation est peu présente dans l’ADN des collectivités » et pointe notamment la gouvernance des stations et plus largement des territoires. A phrase choc, réponse choc : « c’est une réalité », rétorque Fabrice Pannekoucke, maire de Moûtiers et conseiller régional, surprenant la salle avant de nuancer son propos en précisant que « l’innovation est plus simple à une échelle supra-communale, notamment la région ». Mais pour Franck Lombard, « si tout niveau de collectivité peut aider, les maires sont le cœur du système et c’est à eux qu’il revient de créer l’innovation. L’intégration des maires est la clé de voûte du prochain modèle ». Les Entreprises publiques locales peuvent être l’outil innovant capable de casser les organisations en silo et d’investir les « vides interstitiels » décrits par Philippe Lebrasseur.
Pointée par Fabrice Pannekoucke, la réconciliation entre les territoires de montagne et l’économie depuis 2016 fait consensus auprès des autres élus tout comme la difficulté pour les territoires de coopérer, faute de réel dialogue entre les différents acteurs. Pour Philippe Lebrasseur, un travail de construction collective avec les environnementalistes sera indispensable à l’avenir du modèle montagnard.
Décrite comme verticale avec des logiques sectorielles, la gouvernance des stations est à contrecourant des besoins. Jean-Luc Boch, maire de la Plagne-Tarentaise, insiste sur le changement des consommations. « Les clients recherchent des séjours moins longs mais plus réguliers quand les hébergeurs classiques fonctionnent encore sur du forfait semainier. De manière générale, il existe un problème de communication avec les hébergeurs ». Il propose de simplifier les arrivées des touristes, même le dimanche ! En guise de réponse, Philippe Lebrasseur, précise que « former les socio-pro à la dimension marketing revêt un caractère primordial ».
Mais la communication pêche également du côté des collectivités qui n’ont pas toujours les outils pour vendre leur territoire. Gilbert Catala, président de la Communauté de communes Cluses Arve et montagnes, le dit sans détour : « nous avons des atouts mais nous avons besoin d’aide pour communiquer ». Il en profite pour revenir sur le succès de l’évènement 2017 « Com’ les pros » organisé par une agence professionnelle pour son intercommunalité. Bassin du décolletage, la vallée de l’Arve doit également jouer la carte du tourisme industriel.
Qu’il s’agisse de communication, de mobilité, d’hébergement, de gestion des domaines skiables ou encore de numérique, chaque intervenant en revient toujours au même point, l’absence (ou presque) d’approche systémique. De cette dernière dépend également la question des investissements.
Hébergement, numérique, neige de culture autant d’investissements indispensables à l’avenir du modèle
Pour Jean-Luc Boch, la gouvernance systémique devrait déjà s’organiser au sein des corridors économiques et d’accessibilité décrits par Philippe Lebrasseur « afin de raccrocher les stations avec une vie locale. Il leur faut retrouver de la clientèle de proximité ». Jean-Luc Boch étaye son propos en rappelant que « moins de 10 % des habitants de Chambéry vont skier dans les Alpes et que les classes de neige qui faisaient vivre les stations, ne sont plus suffisamment nombreuses ».
Cette clientèle de proximité est la première réponse à apporter à la problématique des lits froids et de manière générale aux besoins en investissement au même titre que la pluri-saisonnalité dont tout le monde parle. « Quand on sait que 50 % du PIB de la Savoie est produit par la montagne, la faire vivre toute l’année devient une évidence », déclare Jean-Luc Boch, rappelant au passage que « par le passé, on skiait au printemps en raison des températures plus clémentes ».
Mais pour skier au printemps, il faut de la neige, qu’elle soit naturelle ou de culture. Fabrice Pannekoucke dit oui à la neige à condition de proposer offre nouvelle en développant les infrastructures et surtout remettre de l’humain pour améliorer l’accueil et l’information auprès des touristes. Faisant le parallèle avec la gouvernance, il ajoute : « nous devons avoir une approche d’ensemble mais ni prédéfinie ni définitive ». Faut-il nécessairement produire de la neige au-dessus de 1 800 mètres ? Faut-il déployer la multi-activité dans toutes les moyennes stations ? Il faut traiter des sujets au cas par cas et pour reprendre les propos de Michel le Faou, président de la Fédération des Epl Auvergne-Rhône-Alpes, en ouverture de la rencontre « faire confiance aux élus pour accompagner les mutations vécues par leur territoire et surtout leur donner les moyens d’agir ».
Le numérique est indéniablement un outil à saisir pour les collectivités. Franck Lombard rappelle que le Conseil départemental de Savoie se montre très volontariste sur ce plan. « Le fibrage de tout le département sera achevé en 6 ans », prévient-il. C’est indispensable à la survie du département et de son économie. Fabrice Pannekoucke en est convaincu, « une montagne d’innovation nous attend en matière de numérique ». Le Conseil régional vient de créer une école de codage, Le 101, et a demandé aux élèves de réfléchir aux atouts du numérique puis de les confronter aux enjeux de la montagne notamment en matière de santé, de gestion des domaines skiables, d’hébergement…
« Le numérique pourrait être l’outil des collectivités et pas uniquement d’Airbnb », glisse Jacques Chiron, président d’honneur de la Fédération des Epl. Il pourrait en partie répondre à l’insuffisance des mises en location des actifs immobiliers. Pour le reste, le sujet pour le moins épineux de la rénovation des hébergements semble davantage reposer sur l’absence d’ingénierie financière et fiscale dédiée à la montagne, sortant du classique et basée sur la réappropriation d’actifs par les collectivités.
Franck Lombard en profite pour revenir sur rénovation de la station de Courchevel. Si le modèle reste rentable économiquement, le nombre de journée skieurs baisse irrémédiablement et la rénovation des hébergements aboutit quant à elle une baisse du nombre de lits. Courchevel comme Chamrousse s’engagent dans la quatrième génération de stations, plus accessibles, misant sur la multi-activité et plus exigeantes sur le plan environnemental.
Le changement climatique, vrai sujet de préoccupation ?
Le réchauffement climatique embarque la question de la ressource en eau et avec elle deux réalités, économique et environnementale, à faire converger.
Le changement climatique ne doit pas empêcher les investissements. « N’oublions pas que c’est la neige et les enneigeurs qui maintiennent une forte activité. Attachons-nous à trouver des solutions pour la renforcer et la moderniser », affirme Jean-Luc Boch avant d’ajouter : « il faut relativiser, l’eau est prise mais rendue à la nature. Il y’a moins d’eau au niveau naturel mais plus d’eau l’état artificiel. Les retenues collinaires sont respectées ».
« Laissons-nous aller au bout de l’investissement, il faut être décomplexé sur ce sujet », renchérit Fabrice Pannekoucke. Tous deux mettent en avant les avancées techniques qui permettent de produire le même volume de neige de culture avec 12 % d’eau en moins, sans ajout, et ce même par température positive. Il est même à noter que la consommation courante au sein des stations baisse, les touristes respectant davantage la ressource.
En revanche, les deux édiles mettent en avant la difficulté de gérer la pénurie et l’abondance. L’étiage peut être sévère et à l’inverse les chutes de neige être exceptionnelles comme cet hiver. Le risque naturel provenant de ces excès est une réalité qu’il convient de prendre en compte. C’est une réalité à toutes altitudes. Gilbert Catala, évoquant les retenues collinaires, déclare qu’il est impossible de retenir l’eau trop bas en raison d’inversion de température d’amplitude jamais vue auparavant.
Les Epl au service des territoires de montagne
Vieillissement des équipements, gouvernance sectorielle, manque d’ingénierie financière, insuffisance de l’accessibilité, cette rencontre a permis de balayer les difficultés vécues par les territoires de montagne. Déjà saisies par les élus sur un certain nombre de problématiques, les Entreprises publiques locales ont eu l’occasion de démontrer, témoignages à l’appui, leur capacité à innover et à accompagner les élus dans la mutation de leurs territoires.
Durant la première table ronde, non consacrée à la gestion en Epl, Franck Lombard a tenu à rappeler le rôle de la Société d’Aménagement de la Savoie (SAS) grâce à laquelle les élus peuvent garder la maîtrise des lits. « Les Epl sont les bons outils et la SAS s’apprête à créer une foncière dans les prochaines semaines afin de poursuivre le travail auprès des élus ». Fabrice Pannekoucke, quant à lui, appelle les Epl à aider les élus en quête de stratégie financière. Les Entreprises publiques locales sont aussi là pour financer l’innovation. La seconde table ronde a été l’occasion d’échanger sur des retours d’expériences autour de cas concrets déployés par les Epl. Trois secteurs d’activité ont été plus particulièrement mis en exergue : l’aménagement, le traitement de l’eau et le tourisme.
Laurent Poupard, président de la Spl Haute-Maurienne Vanoise tourisme, a présenté le contexte de la création de la Spl – le 1er juin 2017 dans le contexte de la loi Notre -, et ses enjeux ainsi que les premiers pas de la structure. Le transfert de la compétence de la gestion d’office de tourisme à la communauté de communes, a amené les élus à opter pour le choix d’une « entité supra » en Spl plutôt que de privilégier un mode de gestion existant (association, régie). La Communauté de communes Haute Maurienne Vanoise, actionnaire principal de la Spl, regroupe 10 communes dont 7 sont des supports de station. En complément des missions dévolues à un office de tourisme, la gestion de deux équipement a également été confiée à la Spl. A terme, chaque commune pourra confier à la Spl la gestion d’un équipement touristique tout en conservant la compétence.
Selon Laurent Poupard, les premiers avantages de ce regroupement reposent sur l’augmentation des moyens humains (54 salariés) et financiers (budget de 5 milliosn d’euros). Un observatoire a ainsi été mis en place afin de mieux connaître la clientèle et mener un travail prospectif sur 2 à 3 ans. Une campagne de communication a même été menée dans le métro parisien pour donner plus de visibilité à la station, ce qui était auparavant inenvisageable. La mutualisation en cours du personnel permet de définir une nouvelle stratégie et de réorganiser la Spl par filière métier. La Spl Haute Maurienne Vanoise tourisme permet également de mutualiser les acteurs de la station.
Dans un autre domaine d’activité, la création de la Spl O des Aravis a permis de répondre à un besoin de service public et commercial pour la gestion de l’eau et de l’assainissement, auparavant géré par un syndicat intercommunal. Pour, Georges Bise, directeur général, la Spl O des Aravis a eu pour conséquence d’accroître les performances économiques de l’activité (recherche d’autofinancement) et a incité les actionnaires à échanger. « Le modèle Spl permet de développer un nouveau métier dans une nouvelle structure », déclare-t-il. La Spl O des Aravis a été créée en moins de 6 mois, le 15 février 2014, sur un territoire qui compte déjà deux Epl à la Clusaz (Sem office de tourisme et Sem de remontées mécaniques). Les trois actionnaires de la société ont privilégié un objet unique dans un contexte de risque de raréfaction de la ressource en eau d’ici 20-30 ans.
D’autres Epl interviennent également dans le domaine de l’aménagement en zone de montagne. C’est le cas des Epl Sara (Sem et Spl), de la Spl Isère Aménagement et de la Sem Territoire 38, toutes regroupées au sein du groupe d’intérêt économique (GIE) Elegia. Ces Epl interviennent notamment dans le domaine de la construction (missions d’ouvrages délégués), de l’aménagement et du développement économique en Isère : participation à la construction du tramway de Grenoble, aménagement des berges de l’Isère… Christian Breuza, directeur général, nous apprend que la Sem est intervenue pour les communes de l’Alpes d’Huez et les 2 Alpes et vient de remporter l’appel d’offre pour la maîtrise d’ouvrage de la future station de Chamrousse 2030. En complément, la souplesse de l’outil Sem a permis la création d’une filiale patrimoniale en 2016 qui se diversifie dans le secteur des résidences de tourisme. La filiale offre la possibilité de faire du portage immobilier sur le moyen ou long terme. Les 400 000 euros de résultat net réalisés en 2017 ont été réinvestis pour le développement du territoire par le biais de ces Epl.
Ces trois exemples permettent d’illustrer l’intérêt et la souplesse de l’outil Epl qui répond, s’adapte et évolue en fonction des besoins des territoires dans des domaines d’activités variés. La rencontre d’Albertville a démontré qu’au-delà des défis qui attendent les milieux de la montagne française, « les élus ont envie de réussir. Les Epl peuvent y contribuer grâce à leur double identité qui allie à la fois service public et performance économique », conclut Jacques Chiron, ancien sénateur de l’Isère et président d’honneur de la FedEpl.
Grégory Decoster et Christelle Botz-Mesnil
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Photo ©Emmanuel Nguyen Ngoc