Ce Club des juristes a également permis de revenir sur les vigilances particulières à adopter quant à l’objet social des Epl, la compétence des collectivités actionnaires et la complémentarité des activités.
A cette occasion sont intervenus :
Xavier Couton, Avocat, Cabinet FIDAL
Thomas Rouveyran, Avocat-Associé, Cabinet SEBAN
Marion Delaigue, Associée-Partner, Cabinet LATOURNERIE-WOLFROM
Gilles Le Chatelier, Avocat-Président, Cabinet Adamas
Etienne Westphal, Avocat, Cabinet Adamas
L’application de la loi du 2019-463 qui est venue sécuriser l’actionnariat des Epl
Il a été rappelé en introduction l’historique de l’arrêt SEMERAP du Conseil d’Etat qui fragilisait l’existence des Epl et l’adoption de la loi du 2019-463 qui est venue à sécuriser l’actionnariat des Epl.
Me Le Chatelier est revenu sur les enjeux importants de cette loi.
Celle-ci a tout d’abord permis de contrer l’interprétation restrictive du Conseil d’Etat sur les compétences qu’une collectivité doit détenir pour participer au capital d’une Epl. Désormais, il suffit de détenir une seule compétence qui figure dans l’objet social de l’Epl.
Un autre enjeu résidait dans la définition de cette compétence : le texte adopté n’a pas repris l’appréciation « quantitative » du critère de la compétence proposée par le gouvernement. Il n’est pas en effet question dans la loi finalement retenue que cette compétence doit être « majeure » ou « significative » pour que la collectivité puisse devenir actionnaire, ce qui a permis d’éviter les discussions subjectives avec les contrôles de légalité sur le caractère significatif ou non de cette compétence.
La loi précitée permet également de couvrir la situation des Epl qui, à la date d’intervention de la loi, auraient été en délicatesse avec la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Plus globalement, la loi a permis d’instituer une situation juridique claire qui laisse peu de place à la subjectivité, pour une meilleure sécurité des Epl.
L’instruction du gouvernement du 14 octobre 2019 suivant la loi précitée
Me Delaigue a précisé les contours de cette instruction, qui reprend l’esprit de la Loi du 17 mai 2019.
Dans l’ensemble, l’instruction précise bien que la collectivité souhaitant devenir actionnaire n’a pas besoin de détenir l’ensemble des compétences en rapport avec l’objet social de l’Epl.
L’instruction invite les Epl à être précises dans la définition de leur objet social pour identifier clairement le rattachement des compétences de l’actionnaire aux activités de l’Epl. Ce lien sera le point de débat entre une notion de droit privé (l’objet social) et de droit public (compétence de la collectivité).
L’instruction pose cependant question dans son dernier point puisqu’elle semble revenir sur la notion de compétence « significative » pourtant écartée par la Loi. En effet l’instruction reprend étrangement l’historique des amendements et débats autour de cette appréciation quantitative de la compétence devant être détenue. Dans l’attente d’une jurisprudence sur ce point, il convient d’être attentif sur l’appréciation que le contrôle de légalité pourrait faire de cette instruction.
La complémentarité de l’objet social et des compétences des collectivités et de leurs groupements
Les intervenants sont revenus tour à tour pour exprimer leurs conseils pratiques concernant la complémentarité des activités et la modification adjacente de l’objet social de l’Epl.
Me Delaigue a conseillé aux Epl, eu égard à leur nature commerciale et « privée », de rester dans une écriture de société, avec une définition assez large et libre de l’objet social tout en précisant, afin de sécuriser la présence des collectivités et de leurs groupements, une liste de compétences non exhaustive (et non pas limitative), dans l’optique de conserver une certaine souplesse tout en établissant le lien entre compétences et objet social.
L’écriture de l’objet social, bien que plus libre, est toute aussi importante que la manière dont sera listé les compétences : en effet, les juges portent avant tout leur attention, lorsqu’ils contrôlent l’imprécision, sur les compétences de l’actionnaire qui sont définis dans les statuts.
Me Rouveyran a confirmé la nécessaire liberté que l’Epl doit conserver dans la rédaction de son objet social, sans lier intégralement les compétences de l’actionnaire aux activités de l’Epl.
La complémentarité « normale » des activités
Me Le Chatelier a précisé la notion de complémentarité en rappelant tout d’abord que ce contrôle et les débats qui l’entourent existaient bien avant la loi.
Cette notion de complément normal est porteuse d’ambiguïtés et de subjectivité puisqu’elle est susceptible d’être appréciée de différentes manières. Le Club des juristes a permis d’échanger sur les différentes lectures du juge quant à la notion de complémentarité et à l’utilisation possible de ces lectures par les Epl.
En effet, l’étude de la jurisprudence révèle une interprétation différente de cette notion selon la localisation des juges. Par exemple, la Cour administrative d’appel de Lyon a une interprétation reconnaissant la complémentarité dès lors que les activités ont pour finalité la satisfaction des besoins quotidiens de la population. Ce qui permettrait d’englober un large panel d’activités au sein d’une même structure.
Me le Chatelier a cependant recommandé d’adopter une certaine prudence dans l’utilisation de cette jurisprudence. Il est préférable selon lui d’utiliser la jurisprudence Communauté de Urbaine du Grand Dijon du Conseil d’Etat (CE, 21 septembre 2016, n° 399656, Communauté Urbaine du Grand Dijon) où celui-ci retient le lien économique pour reconnaître la complémentarité. Ainsi sont reconnus comme complémentaires le transport collectif et le parking, avec l’idée d’un lien économique entre missions de services publics.
Les Epl doivent donc effectuer un travail de justification lors des échanges avec le contrôle de légalité. L’Epl devant démontrer que telle activité est complémentaire dans un contexte bien déterminé de service public : il s’agit selon lui d’un contrôle in concreto.
Me Westphal a rappelé que les filiales ne doivent pas être créées pour contourner ces obligations de complémentarité.
Cession des actions et transfert de compétences
Me Rouveyran est intervenu sur la question de la cession des deux tiers des actions lors du transfert de compétence.
Une réponse ministérielle a rappelé l’importance de procéder à ces cessions au risque de fragiliser le fonctionnement de la société ainsi que les décisions qui sont prises par cette dernière.
Il n’y a pas de cadre juridique sur les modalités de cession des actions. Elles sont en pratique négociées comme dans toute société. Il faut cependant garder à l’esprit l’interdiction pour les collectivités de s’appauvrir ou de s’enrichir sans raison.
Cette appréciation de la valeur de la cession doit prendre en compte les besoins en fonds propres de la société, ses activités, ses développements, pour permettre une valorisation à hauteur des besoins et de l’intérêt de la société.
Les problématiques de compétences au sein de la Métropole du Grand Paris
Me Couton a explicité les problématiques de compétences liées au regroupement des collectivités au sein de la Métropole du Grand Paris (entre ce qui relève des communes, des EPT et de la MGP).
L’une de ces problématiques est relative à la perte totale de la compétence d’aménagement des communes du Grand Paris (transférée à la MGP et aux EPT). Cette situation peut être délicate pour les Epl détenue par ces communes qui n’auraient pour objet unique que l’aménagement. Cela peut remettre en cause le maintien de ces communes au capital.
Il a conseillé à cette occasion aux communes de bien s’assurer que la compétence en lien avec l’objet social d’une Epl leur appartient toujours.
Les conseils pratiques du Club des juristes
Plusieurs conseils pratiques ont été donnés lors de ce Club :
- Une modification de l’objet social basée sur un plan stratégique.
- Lors de la création d’Epl, les élus et les services doivent s’assurer des compétences dont ils disposent et celles qui ont été en réalité transférées.
- Rédiger son objet social de manière souple tout en le reliant aux compétences.
- Vérifier que l’évolution de la carte des compétences permet toujours de porter le projet de l’Epl.
- Justifier la complémentarité des missions par le projet porté par l’Epl.