Ce quatrième atelier s’est focalisé sur les mutations économiques à l’œuvre dans la société s’agissant de l’entreprise pour clôturer officiellement la saison 2. Intitulée « Entreprise et raison d’être : réflexions sur la loi Pacte », la séance s’est tenue le mercredi 2 décembre 2020 par visioconférence.
Ont été reçus pour aborder cette thématique :
- Blanche Segrestin, docteure en sciences de gestion, professeure à l’Ecole des Mines de Paris et auteure de l’ouvrage « La mission de l’entreprise responsable » avec Kevin Levillain, accompagnée de Samantha Ragot, doctorante en sciences de gestion à l’Ecole des Mines de Paris
- Maurice Sissoko, directeur général de la société d’aménagement Citallios, première Sem à s’être dotée d’une raison d’être et à l’avoir inscrite dans ses statuts
Les enjeux ouverts par la loi Pacte
S’inscrivant dans un mouvement plus profond de transformation de l’entreprise, tenant davantage compte des aspirations des consommateurs et des citoyens, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, est entrée en vigueur en poursuivant l’objectif de favoriser la croissance et le financement des entreprises, mais aussi de repenser la place de l’entreprise dans la société.
Elle a introduit trois dispositions en particulier. Tout d’abord, l’entreprise est désormais contrainte d’être gérée dans son intérêt social en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Elle a également la possibilité de modifier ses statuts et d’y insérer une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. Est enfin créé le statut d’entreprise à missions qui s’obtient à partir du moment où une entreprise exprime le souhait de poursuivre un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux complémentaires de son action initiale et parvient à concrétiser ses aspirations.
Pourquoi créer une raison d’être ?
Afin de préciser le contexte ayant mené à l’introduction du concept de la « raison d’être » en droit français, Blanche Segrestin et Samantha Ragot du Centre de gestion scientifique de Mines ParisTech ont présenté les grands aspects de la réforme.
La loi Pacte est née dans un contexte de crise du management et de déformation du modèle de l’entreprise, avec une fragilisation des capacités d’innovation. Elle a officiellement été lancée en 2017 par une déclaration du président de la République Emmanuel Macron insistant sur le besoin de « redéfinir l’entreprise » et ses finalités, et devançant de quelques mois le travail de la mission Notat-Senard, dont le rapport mènera à son adoption en mai 2019.
La réforme se fonde sur la conception de l’entreprise comme une source de progrès collectifs, mais aussi à partir de la mutation profonde des principes de gouvernance face à la crise constatée du modèle du management qui menaçait le concept même de l’entreprise. Elle vient en outre essayer de donner des réponses à l’absence de la notion d’« entreprise » dans le droit français, notion qui ne peut être confondue avec celle de « société ».
L’entreprise peut en effet avoir des buts qui ne sont pas nécessairement économiques et qui peuvent être orientés vers le futur. Le concept d’entreprise à mission vient ainsi apporter les trois évolutions suivantes :
- Qualifier l’entreprise en droit et en théorie ;
- Crédibiliser et protéger les initiatives de RSE ;
- Restaurer le lien entre entreprise et intérêt collectif.
Le débat s’est ensuite orienté vers la notion de « raison d’être » dans le cadre des entreprises de service public. L’interrogation principale a donc été de savoir comment établir le lien entre la loi et le marché s’agissant des entreprises fournissant des services publics et/ou des services d’intérêt général. Un tel modèle n’avait jamais été pensé d’un point de vue théorique.
Le cas de la Sem Citallios à Nanterre
La nature des Entreprises publiques locales suppose intuitivement la prise en compte d’enjeux sociaux et non uniquement économiques. Elles ne sont pourtant pas ciblées spécifiquement par la loi Pacte et ses implications. Pour autant, les nouvelles possibilités données aux entreprises font office de nouvelles opportunités pour elles.
La Sem Citallios, basée à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, a franchi le pas en mars 2020 en se dotant d’une raison d’être. « Imaginer et construire un cadre de vie humain, sobre, durable, en assemblant les contributions nécessaires à la transformation des villes et des territoires avec tous et pour tous » est désormais l’orientation marquée dans ses statuts. L’idée d’inscrire une telle raison d’être, portée par son directeur général Maurice Sissoko, est née de la nécessité de fédérer les collaborateurs issus de quatre entreprises fusionnées autour d’une seule ambition commune et partagée par tous. Elle permettait alors de donner de la cohérence à l’action de la société en alignant les intérêts de l’ensemble des parties prenantes.
La définition d’une raison d’être a été très bien accueillie par les collaborateurs, en donnant un sens collectif à leur mission commune au sein de Citallios. Elle a aussi permis d’apporter davantage d’innovation et de valeurs dans ses actions auprès des élus selon Maurice Sissoko. La démarche a aussi permis de fixer une feuille de route opérationnelle pour les quatre prochaines années au sein de laquelle une politique liée à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) prend désormais toute sa place.
Via un processus de consultation de toutes les parties prenantes, l’Epl a identifié les éléments caractérisant son identité. Elle a ensuite transformé sa raison d’être en raison d’agir. La mise en œuvre de la feuille de route opérationnelle s’est accompagnée de la mise en place de mécanismes d’évaluation des performances économiques, mais aussi sociales, sociétales et environnementales. La performance est ainsi considérée de manière plurielle ; elle guide désormais l’ensemble des actions de la Sem Citallios.