Rappel des faits : les engagements climatiques pris par l’État sont opposables à l’État lui-même.
Grande-Synthe, une commune littorale du Nord de la France particulièrement exposée aux effets du changement climatique, demande fin 2018 au gouvernement de prendre des mesures complémentaires à l’arsenal existant pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES). Face au refus qui lui est opposé, elle saisit le Conseil d’État, soutenue notamment par plusieurs organisations de défense de l’environnement, dont Oxfam France, Greenpeace France, Notre Affaire A Tous et la Fondation Nicolas Hulot.
Après avoir jugé que la requête de la commune de Grande-Synthe est recevable, le Conseil d’Etat relève que si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés.
Mais avant de statuer définitivement sur la requête de la commune, le Conseil d’État ordonne un supplément d’instruction. Par une décision du 19 novembre 2020, la plus haute juridiction administrative demande alors au gouvernement de justifier, dans un délai de 3 mois, que son refus de prendre des mesures supplémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction des GES à échéance 2030.
À la suite de la transmission par le gouvernement d’éléments additionnels, une nouvelle instruction contradictoire est ouverte à l’issue de laquelle le Conseil d’État, via une décision du 1er juillet 2021, fait droit à la demande des requérants (annuler le refus du gouvernement de prendre des mesures supplémentaires) et enjoint à ce même gouvernement de prendre avant le 31 mars 2022 toutes mesures utiles pour atteindre l’objectif de réduction des GES issu de l’Accord de Paris.
Avec un mois de retard, la réponse du gouvernement qui se veut rassurante
Une opération de communication gouvernementale inédite : le gouvernement a décidé de publier le 4 mai dernier des éléments de sa réponse au Conseil d’Etat, plus précisément un dossier de presse ainsi qu’un résumé de sa réponse .
Au terme d’un document de 18 pages, qui se veut être une synthèse de son mémoire, le gouvernement assure au Conseil d’Etat que les objectifs climat de la France seront respectés. Il répond en plusieurs temps : une baisse sans précédent des émissions de GES (alors que le Haut conseil pour le climat soulignait en septembre 2021 que les émissions devraient baisser presque deux fois plus vite pour espérer atteindre les objectifs climatiques que la France s’est fixés), une ambition climatique réhaussée et traduite dans plusieurs grandes lois (Elan, Egalim, Lec, Lom, Agec, Climat et résilience, etc.) ou encore des budgets en hausse en faveur de la transition écologique.
Ces éléments seront-ils suffisants, alors que le Conseil d’Etat réclamait en juillet 2021 l’adoption de mesures supplémentaires à court terme pour être en mesure d’obtenir l’accélération de la réduction des émissions de GES visée ?
Ainsi que le relève Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement : « Ce n’est pas usuel que le ministère de la Transition écologique rende publics des éléments de sa défense, bien que les requérants dont les associations aient de leur côté abondamment communiqué sur le procès, son déroulement et les arguments juridiques échangés ».
Ces derniers avaient d’ailleurs annoncé le 31 mars 2022, soit la date butoir imposée par le Conseil d’Etat pour que le Gouvernement justifie de toutes mesures utiles pour infléchir la courbe des GES, vouloir saisir de nouveau la Cour suprême pour faire constater la carence de l’Etat et faire prononcer une astreinte.
A la bataille judiciaire s’est ajoutée un combat médiatique
Comment statue un juge placé sous le projecteur médiatique ? Quant à savoir si les juges qui vont délibérer pourraient être influencés, voire agacés, par cette stratégie du gouvernement, « Nul ne peut le dire », confesse Arnaud Gossement. Il ajoute cependant : « Le juge, placé sous le projecteur médiatique, statue forcément différemment que s’il ne l’était pas ».
S’agissant de l’état de la procédure : « Nous en sommes à la phase administrative qui pourra déboucher sur l’ouverture d’une procédure juridictionnelle par la 6e chambre compétente en matière d’environnement, et c’est seulement lors de cette seconde phase qu’une audience pourra être fixée et aboutir le cas échéant à une astreinte prononcée contre l’Etat », nous indique le Conseil d’Etat.
La décision que sera amenée à prendre la Cour suprême sera essentielle, puisqu’elle constituera une première en matière de contentieux climatique.
Et derrière l’affaire Grande Synthe se cache l’Affaire du Siècle, également en cours, mais devant le tribunal administratif de Paris qui a donné jusqu’au 31 décembre 2022 à l’Etat pour agir en matière de lutte contre le changement climatique
Dans les deux cas, de lourdes sanctions financières pourraient être prononcées contre l’Etat pour carence fautive.
Le juge serait-il un acteur plus actif que le gouvernement en matière de lutte contre le dérèglement climatique ?
Cet article « L’inaction climatique : le gouvernement rend publique sa défense » est issu d’un partenariat éditorial avec cadredeville.com, la plateforme des projets urbains qui fournit un service complet d’informations et de data pour ceux qui font la ville de demain.
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