Comment recréer de la densité sur des parcelles en partie bâties en frange de centre-bourg, de manière à limiter la consommation foncière tout en permettant aux gens de rester sur le territoire ? Voilà le défi que lui a lancé Jean-Pierre Buche, maire de Pérignat-ès-Allier, dès 2016. Grâce à une annonce publiée sur Le Bon Coin, l’élu et l’architecte ont trouvé des porteurs de projets volontaires, prêts à s’investir dans un projet collectif et à se porter acquéreurs. Ensemble, ils ont défini une programmation mais entre-temps, faute de moyens, l’une des quatre familles pressenties s’est retirée du projet.
« Dès que quelqu’un part, l’équilibre est rompu. C’est pour cela que le nombre de lots a changé sans arrêt. Aussi, au début, les gens voulaient une maison en bois, mais ça n’a finalement pas été possible. On a donc redessiné le projet. On a redéposé un permis de construire. Un permis de construire qui a d’ailleurs valu pas mal de discussions avec l’ABF » raconte Boris Bouchet amené à pratiquer, de fait, « un urbanisme de la patience, du soin, de la lenteur ». Heureusement, le projet a fini par se stabiliser autour d’une maison et une grange réhabilitée pour une famille avec une projet de gîte touristique ; d’une maison neuve avec terrasse et piscine pour une autre ; et enfin, d’une maison à construire pour un couple de jeunes retraités.
Des projets similaires sont amenés à voir le jour à Pérignat-ès-Allier puisque, depuis 2001, la mairie rachète via l’EPF des « bâtiments stratégiques ». La prochaine intervention est fléchée sur une maison rouge située dans le centre-bourg. Celle-ci doit être rénovée de manière à remettre trois nouveaux logements sur le marché locatif. « Vous savez, dans des petites communes périurbaines comme la nôtre, on a 80% de propriétaires occupants » signale le maire Jean-Pierre Buche.
Des « villages en chantier »
Plus globalement, la commune de Pérignat-ès-Allier a initié, avec le collectif Rural Combo, une démarche « village en chantier ». Au programme : une permanence architecturale dans l’ancienne boulangerie et un chantier participatif dans le centre-bourg. « Nous ne sommes pas dans une posture de démiurge. C’est important, pour nous, de vivre sur le territoire et de mettre de l’affect pour pouvoir ensuite récolter des savoirs situés, habités. On s’appuie sur des méthodes d’éducation populaire. L’idée, c’est de travailler sur des communs, de faire parler les gens entre eux, d’arriver à trouver des compromis pour sortir du « Je ne veux pas être dérangé par… » explique Damien Najean, membre du collectif Rural Combo.
Résultat, la place de l’église, autrefois occupée par 30 places de stationnement, est devenue piétonne. Des piquets en bois ont été plantés dans l’asphalte pour qu’y soient tendues des toiles d’ombrages. Des jardinières ont également été installées et une fresque de la solidarité a été réalisée avec des enfants et des personnes âgées du village. Sans oublier la Maison Grenouille, inhabitée pendant 20 ans et rachetée par l’EPF à la fin des années 2010, qui abrite désormais un café-récréation. Un lieu de convivialité où sont programmés des concerts, des conférences et autres animations, à même d’offrir un certain « gradient d’urbanité ».
Les expérimentations menées à Pérignat-ès-Allier commencent déjà à faire des émules, notamment à Billom, petite ville de 5 000 habitants située un peu plus à l’Est. Dans ce « slow village », Rural Combo a investi depuis 2019 l’ancien collège de Jésuites, classé aux monuments historiques, propriété de la commune et fermé depuis plus d’une vingtaine d’années. « Les coûts de restauration n’étaient pas à notre portée » justifie le maire Jean-Michel Charlat. « Notre parti pris a donc été de rouvrir en l’état avec, a minima, des travaux de sécurisation des lieux pour permettre à tous ceux qui avaient des projets de s’emparer du lieu. Pendant ce temps-là, on cherche à réunir des financements ».
Sur place, l’action de Rural Combo a permis d’ouvrir le lieu, de l’animer mais surtout de mobiliser des citoyens pour accompagner des usagers permanents. Le lieu accueille à présent des expositions, des concerts, une AMAP, des ateliers d’artistes et d’artisans… Une association d’usagers a même été créée, baptisée « La Perm » en référence à la permanence militaire scolaire, architecturale ou encore au permis de faire de Patrick Bouchain. D’ici peu, elle doit d’ailleurs prendre la relève de Rural Combo pour passer ses propres conventions d’occupation avec les occupants.
Pour Paul Chanterau, autre membre du collectif Rural Combo : « Notre objectif était de permettre la réappropriation de la gestion d’un patrimoine commun en fédérant les usagers et en les faisant monter en compétences en vue d’une gestion autonome. C’est une véritable mise à l’épreuve de ces espaces par l’usage ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas de l’urbanisme transitoire en attendant un grand projet. On est dans une démarche longue. On fait LE projet. On a aussi le temps car il n’y a pas de pression foncière ». Un constat auquel souscrit le maire de Billom qui défend « un choix politique, pas un choix d’opportunité. Nous avons la certitude d’en avoir pour 15 ou 20 ans ».
Territoires ruraux, nouvel eldorado des architectes-urbanistes ?
Rural Combo, Boris Bouchet Architectes, Atelier de l’Ourcq, Atelier du Rouget, Fabriques Architectures Paysages… On ne compte plus les collectifs et les agences d’architecture et d’urbanisme qui investissent le rural. Un tropisme qui leur vaut d’ailleurs aujourd’hui le surnom d' »urbanistes aux pieds nus ».
Sur ces territoires dits « oubliés », on fabrique de nouveaux récits, on stimule des usages, on tente de réduire l’empreinte carbone en limitant l’étalement urbain, on apprend à reconnaître les milieux,… À l’instar de Félix Mulle, fondateur de l’Atelier de l’Ourcq, qui s’évertue à inventer une « nouvelle grammaire spatiale » à base de vélo, de nature certes, mais aussi de voiture qu’il faut domestiquer et apprivoiser. Autre élément important : l’effet de centralité et de covisibilité pour donner l’impression qu’il y a « quelque chose qui se passe ». Comme Boris Bouchet, il pratique lui aussi l’urbanisme de la patience : « Il est urgent d’attendre. Si deux immeubles sont vacants, ce n’est pas si grave. Il ne faut surtout pas démolir a priori, mais accepter que des espaces soient vacants ou sous-utilisés. La conjoncture économique est tellement imprévisible ! ».
De son côté, Pierre Janin, architecte-paysagiste chez Fabriques Architectures Paysages et également agriculteur, travaille sur de nouvelles interrelations entre espaces urbains et agricoles, comme à Gergovie par exemple. Pour lui, « l’espace agricole doit être pensé comme un espace, au même titre que l’espace urbain. Il peut lui aussi être dessiné ». L’agence a développé un savoir-faire qui est de plus en plus recherché : Pau, Montpellier, Lille…de grandes villes commencent en effet à le solliciter pour venir intégrer cette dimension agricole et nourricière à leurs plans d’aménagement métropolitains.
« Il faut savoir se mettre en danger sur ce genre de territoire. Il faut accepter que notre métier se transforme. Parfois, c’est très dessiné. Parfois, c’est très centré sur l’usage. On bricole, on fait du low tech. C’est de l’urbanisme de fragments. La période de reflux que nous vivons nous invite à repartir de l’existant, des interstices. C’est la fin des grands projets » fait remarquer Simon Teyssou, fondateur de l’Atelier du Rouget. Avant de demander : « Pour qui on agit ? Pour des habitants ordinaires. Le problème, c’est que les aménageurs pensent aux habitants du futur. Or, je crois qu’il faut d’abord penser aux habitants du déjà-là ». En ce sens, le nouveau directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand n’hésite pas à exhorter les professionnels à déménager et à s’installer dans les espaces périurbains ou ruraux.
Sur ce dernier point, le géographe Philippe Estèbe reste toutefois plus prudent. Agriculture, entrepôt logistique, parc éolien, réserve de biosphère…le chercheur a passé en revue les différentes stratégies de pays européens pour « remplir le vide ». Qu’en sera-t-il demain ? Qui sait comment ce vide sera utilisé ? Quel modèle économique permettra un minimum d’investissement local ? En tout état de cause, le vide est amené à prendre de la valeur.
Cet article « Expérimentations rurales : apprendre à sortir des outils classiques de l’aménagement» est issu d’un partenariat éditorial avec cadredeville.com, la plateforme des projets urbains qui fournit un service complet d’informations et de data pour ceux qui font la ville de demain.
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