« Action Cœur de Ville 2 peut être le vecteur de la transition des villes moyennes et même au-delà », résume-t-il. Il croit notamment à l’outil ORT, complémentaire des CRTE défendus par Christophe Béchu. La fin d’année pourrait, espère-t-il, voir diffuser le « guide d’ACV 2 », ouvrant la voie à des avenants avec les 222 villes éligibles et les villes sous ORT. Le dispositif ORT a convaincu déjà les métropoles de Brest et Metz, et demain celle de Clermont-Ferrand, symbole d’un changement d’échelle, et devrait être le vecteur de trois grandes transitions.
Le préfet Rollon Mouchel-Blaisot peut s’appuyer sur un bilan d’Action Cœur de Ville qui, s’il a été critiqué par les sénateurs (lire ci-dessous), constitue l’installation d’un nouveau paradigme dans le paysage de l’aménagement du territoire français. Même l’un des élus les plus critiques du manque de vision en ce domaine des gouvernements d’Emmanuel Macron, doit reconnaître que le programme contribue positivement à faire sortir de l’oubli les villes moyennes françaises. Mieux, il les installe comme un niveau structurant du territoire national, reconnaît Jean-Christophe Fromantin
Place maintenant à ACV 2 dans une version élargie de 2023 à 2026, si ACV 2 il doit y avoir, et on devrait le savoir bientôt. « Tout est rentré en arbitrage », et le préfet se dit « plutôt confiant », compte tenu de la place que donnent ses rapports à la lutte contre l’étalement urbain et le changement climatique. Le fil conducteur de la prolongation du programme ACV vise à mieux accompagner les villes sur trois grandes transitions : transition démographique et notamment le vieillissement et l’accueil de nouvelles populations, la transition économique incluant la réindustrialisation et les nouvelles formes de travail avec la formation et l’enseignement supérieur, et la transition écologique.
Une feuille de route pour des villes durables
On est entré dans la phase de construction d’ACV 2 et même un peu plus. Le « pôle Béchu » de 5 ministres, autour de celui de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, est très concerné pour les questions de logement, de mobilités, d’environnement et de transition écologique en général, et les arbitrages se préparent sous l’autorité de Caroline Cayeux, de même que les négociations avec les grands partenaires financiers que sont Action Logement, la Caisse des Dépôts, et l’Anah. Et d’autres ministères sont concernés, puisque le préfet avance des propositions sur la culture et le patrimoine, sur la santé, sur l’enseignement supérieur, ou le commerce. Des réunions interministérielles vont se tenir sous l’autorité du cabinet de la Première ministre, confié le préfet.
« Je vais plus loin qu’Action Cœur de Ville. Je propose une vraie feuille de route pour des villes durables, tout en consolidant ce qui a bien marché », nous révèle Rollon Mouchel-Blaisot. « J’ai proposé que le gouvernement puisse rendre de premiers arbitrages avant la Toussaint, pour fixer un cadre général. Et que, d’ici la fin de l’année, nous puissions sur cette base finaliser un programme. » Il voudrait sortir à la fin de l’année le « Guide opérationnel ACV 2 », puis conclure avec les villes ACV et celles sous ORT des avenants au premier semestre 2023.
Deux rapports avec annexe financière
Rollon Mouchel-Blaisot a remis en juillet son rapport sur la poursuite d’ACV, puis son annexe financière, et un rapport d’étape sur la requalification des entrées de ville, et pas seulement dans les villes moyennes – un sujet qu’il veut intégrer aux Opérations de revitalisation des territoires (ORT). Il a fait le point ce 15 septembre 2022 pour Cadre de Ville.
Le préfet remet en perspective les 5 années d’Action Cœur de Ville qui viennent de s’écouler. Il revient notamment sur les critiques formulées en juillet 2022 par le Sénat, dont la « mission conjointe de contrôle » avait notamment qualifié le programme national de soutien aux villes moyennes de « grande illusion ». C’est notamment l’investissement de l’Etat qui était interrogé. > Lire « Le Sénat pointe les limites des programmes de revitalisation des centres-villes ». Sur 5 milliards de dotations annoncées, relevaient les sénateurs, seuls 600 millions étaient des subventions aux projets, le reste étant des prêts, des prises de participation ou des aides aux bailleurs privés.
Un « malentendu » avec la mission de contrôle sénatoriale
Rollon Mouchel-Blaisot considère qu’il y a là « un malentendu » : « Ce qui nous a un peu gêné dans les premières conclusions de la mission de contrôle du Sénat, c’est qu’il n’a jamais été dit que Action Coeur de Ville serait financé par 5 milliards d’augmentation des dotations aux collectivités. Ce sont 5 milliards qui s’investissent dans la réhabilitation de leurs centres-villes, soit par des subventions directes, soit par des interventions d’opérateurs mobilisés à cet effet. »
« On est arrivé, poursuit-il, dans la dernière année du programme à 4,8 milliards d’engagement. On va dépasser les 5 milliards annoncés à Cahors fin 2017, et confirmés au printemps 2018. Il a toujours été dit que ces financements étaient partagés entre l’Etat, la Caisse des Dépôts, Action Logement et l’Anah. Le paquet financier a été sanctuarisé, et a fait l’objet de conventions avec les partenaires de l’Etat, qui garantissaient qu’en fonction des projets locaux, des aides pouvaient être accordées. C’est un malentendu avec la Mission sénatoriale. »
Le préfet, directeur du programme ACV au sein de l’Agence nationale de Cohésion des Territoires, rappelle que le dispositif partenarial part d’abord du terrain et se concrétise différemment dans les 222 villes éligibles : « Chaque ville a une configuration particulière. L’idée est que c’est la ville, avec l’intercommunalité, qui est la maîtresse de son projet. Elle élabore un projet, qui est ensuite seulement signé par l’Etat et les partenaires financiers du programme, et d’autres acteurs locaux et nationaux s’ils le souhaitent, pour accompagner ce projet de redynamisation du centre-ville, et, plus largement, un regain d’attractivité de la ville. »
Des financements croisés
De fait, les financements sont extrêmement divers. « Certaines d’actions plutôt classiques sont portées en maîtrise d’ouvrage directe par la commune, réhabilitation d’espaces publics, rénovation d’un équipement public, et dès lors elles sont abondées par les dotations, comme la Dotation de Soutien à l’investissement local (la DSIL). Mais bien d’autres aides interviennent. Ainsi, 140 villes ACV ont reçu une ou plusieurs subventions du fonds friches – un fonds non prévu au départ.
« D’autres actions sont politiquement portées par la ville, mais pas directement mises en œuvre par elle. La rénovation des logements anciens par exemple est le fait des propriétaires avec des aides de l’Anah, des aides en prêts et subventions d’équilibre d’Action Logement. Compte tenu des niveaux de prix du marché du logement en moyenne dans ces villes, la rénovation coûtera toujours plus cher que la construction neuve. Action Logement verse ainsi en moyenne 1 000 euros/m² rénové. »
Autre exemple : « Quand CDC Habitat investit des centaines de millions d’euros pour construire ou acheter des programmes neufs en bloc à des promoteurs, ces financements ne sont pas ceux de l’Etat… »
Donner une visibilité pluri-annuelle aux engagements de l’Etat
Le préfet reconnaît cependant que des besoins nouveaux se sont fait jour : « Ce en quoi les travaux de la mission du Sénat sont très utiles, c’est que le programme Action Cœur de Ville a créé une dynamique, que beaucoup de projets se sont montés, et qu’on a besoin d’énormément de financements. Dans mon rapport de préfiguration de la phase 2 d’ACV, j’ai d’ailleurs essayé d’objectiver quels pourraient être les besoins pour financer les projets qui arrivent à maturité. Il faut passer à la mise en œuvre ! »
Ainsi, le rapport du préfet, remis à Christophe Béchu lors d’un long temps d’échange début août dans le bureau du ministre, est désormais doté d’une annexe financière, qui permet de chiffrer les perspectives de phase 2 d’Action Cœur de Ville. Il s(appuie donc notamment sur le travail sénatorial pour faire monter l’idée de mobiliser des enveloppes plus importantes, tout en donnant une meilleure visibilité sur les plans de financement.
« La commission sénatoriale a raison de demander une meilleure visibilité pluri-annuelle sur les crédits de l’Etat. La Caisse des Dépôts, Action Logement, l’Anah, mobilisent des enveloppes pluri-annuelles. Je trouverais très intéressant que le Sénat, dans son rapport final propose qu’à l’instar des contrats de plan – mais avec moins de rigidité – on donne de la visibilité. »
« Les contrats de relance et de transition écologique et les ORT sont complémentaires »
Pourrait-on alors passer par les CRTE, puisqu’ils doivent mettre en cohérence les politiques déconcentrées de l’Etat ? « Il n’y a pas partout de CRTE, et, d’autre part, ils n’engagent pas les parties. En revanche le contrat d’ORT, d’opération de revitalisation du territoire – et je fais le lien avec la mission de contrôle du Sénat – a été voté dans la loi Elan, et j’en suis le coordinateur interministériel. La quasi-totalité des villes ACV s’en sont dotées. Deux métropoles, Brest et Metz, s’en sont dotées et une troisième vient d’annoncer vouloir le faire. Des centaines de villes non-ACV également. C’est l’outil qui permet de faire les projets. »
L’ORT donne, rappelle Rollon Mouchel-Blaisot, une boîte à outils de facilitation en matière d’aménagement et d’urbanisme. les permis d’aménager multi-sites par exemple. La ville est éligible au dispositif de défiscalisation sur 6, 9 ou 12 ans, dit « Denormandie dans l’ancien ». Et l’encadrement de l’urbanisme commercial est contraignant. « Le Denormandie pourrait d’ailleurs évoluer en étant prolongé et assorti de prix régulés, de même que la rénovation du dispositif Malraux, qui serait simplifié et concentré dans les villes petites et moyennes – notamment les ORT et les QPV, là où il n’y a pas de marché ». « Nous travaillons avec les remontées de terrain pour adapter ce qui ne marche pas bien. Tout n’est pas une question d’argent. »
Renforcer et verdir l’outil ORT au service de la Transition écologique
« L’urbanisme commercial n’est pas le moindre des sujets traités par l’ORT », insiste le préfet. « Les projets d’implantation en centre-ville sont exonérés de CDAC, et le pouvoir est donné au préfet, sur saisine des élus, de suspendre un projet commercial en périphérie du secteur d’ORT, dont l’importance serait de nature à remettre en cause l’opération de revitalisation de centre-ville. Ce pouvoir a été utilisé six fois par des préfets. »
Dans son rapport, le préfet préconise de « renforcer l’outil ORT pour en faire « des ORT vertes ». « Elles seraient un outil de contractualisation qui engage, les territoires, l’Etat, les partenaires financiers, et autres opérateurs, pour mettre en œuvre la transition écologique dans et avec les territoires », explique Rollon Mouchel-Blaisot qui ajoute : « C’est un peu l’esprit que j’ai proposé pour Action Cœur de Ville 2. »
Elargissement du champ des ORT, et conditions de financement
Plus un territoire serait vertueux, plus il serait aidé, rappelle-t-il, « avec un pouvoir d’adaptation du préfet pour tenir compte des trajectoires et des enjeux. » Le préfet relève que l’outil a déjâ été renforcé par le loi Climat et Résilience, et par la loi 3DS, qui a augmenté la boîte à outils facilitatrice, notamment pour les biens sans maîtres, les biens abandonnés. « Mais surtout, insiste-t-il, on peut prévoir des secteurs ORT en dehors du centre-ville, en périphérie. Je propose que cet outil soit utilisé pour requalifier des entrées de ville. » Rollon Mouchel-Blaisot a livré un rapport d’étape complémentaire en faisant des propositions ce qu’il qualifie de « mesures fortes » – un rapport qui à ce jour n’est pas public.
Le préfet invoque les déclarations d’Emmanuel Macron, qui avait souhaité, lors des journées ACV de septembre 2021, que « la méthode innovante d’action publique qu’est Action Cœur de Ville se déploie aussi sur les quartiers de gare, et les entrées de ville. » Les quartiers de gare sont souvent déjà intégrés dans les secteurs d’ORT, et le rapport du préfet propose que les villes puissent ajouter les entrées de ville. « Une très grande majorité de villes se disent intéressées », révèle-t-il, pointant au passage les limites de l’enquête des sénateurs. « Mon rapport n’est pas seulement issu de mes idées funestes, il est le fruit d’une concertation et d’une co-construction avec les élus. »
Des moyens financiers supplémentaires
Si élargissement il y a, il y faudra des moyens supplémentaires. Qu’en dit le rapport Mouchel-Blaisot, sachant que dans la première phase, les aides aux communes représentaient tout juste 25% des programmes ? « D’abord 25% c’est loin d’être négligeable. Ensuite cette évaluation de 25% faite par le Sénat repose sur une dizaine de villes. Mais, sur la base des 222 villes éligibles, nous arrivons à une appréciation différente. Enfin, on ne comptabilise souvent que les aides dites classiques de l’Etat. Cette proportion ne représente pas la totalité des investissements publics et privés. »
« Mais oui, quand il y a plus de 6 000 actions recensées, allant de l’ingénierie à la restructuration lourde, et avec une montée en puissance, nous avons besoin de financements nouveaux », reconnaît le préfet, qui attend des crédits du fonds friches créé en cours de phase 1, du fonds de requalification des fonciers commerciaux géré par l’ANCT, et le fonds de renaturation, demande très forte. Le premier et le troisième seront dans le fonds vert d’1,5 milliard annuel annoncé par Elisabeth Borne. Le rapport préconise également que l’Etat continue à co-financer le poste de chef de projet local, qui peut être depuis 2018 attribué à un fonctionnaire déjà sous contrat, sans recrutement supplémentaire.
Concernant les crédits d’Etat, le préfet plaide pour que les villes considérées comme prioritaires au titre d’ACV bénéficient d’un accès privilégié aux dotations de soutien à l’investissement local de l’Etat. « On est en plein boom du programme, du fait de son succès et de la maturité des projets. Il convient qu’un effort financier soit fait, par l’Etat et par ses partenaires financiers. Je suis là-dessus en accord avec le Sénat. »
« Une jeune politique maintenant évidente »
« Je trouve qu’on est très exigeant avec Action Cœur de ville, conclut le préfet, ACV qui est une très jeune politique, qui s’est déployée à rebours de toutes les politiques menées pendant des décennies, d’étalement urbain, de vidage des villes, de construction en périphérie et désertion des centres. »
« En à peine plus de 4 ans, nous avons mis l’accent sur des villes qu’on croyait oubliées, et changé leur image de marque en un temps record. La crise Covid y a contribué, mais c’était déjà en cours. Nous sommes une jeune politique qui paraît maintenant évidente. Les questions traitées sont difficiles, les solutions sont complexes, et on ressent parfois de l’impatience. Mais on doit prendre acte d’un changement de paradigme. Et aller plus loin, plus vite, plus fort. » C’est ce que propose Rollon Mouchel-Blaisot dans ses rapports et notamment de « préfiguration d’ACV 2023-2026 ». ACV 2 pourrait alors être « le vecteur de mise en œuvre opérationnelle des politiques prioritaires de l’Etat en matière de transition écologique, en partant du projet du territoire ». Une ambition de pionnier et de pilote donc, assise sur une méthode singulière.
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