Le rapport de l’ORF pour « concilier la sobriété foncière et le développement urbain » dans la région Île-de-France met au pied du mur la planification et les stratégies politiques, met en évidence les besoins de financement du ZAN – des espaces de nature comme de la reconquête urbaine – par le budget ou la fiscalité, mais met aussi sur la sellette les aménageurs. « L’aménagement de nos villes et de nos territoires est aujourd’hui à un tournant qui bouleverse les modes de faire et impacte tout autant les collectivités que les professionnels et les habitants », écrit le rapport Biuvelot-Apparu.
Associer les habitants
Les habitants, souvent évoqués pour justifier de ne rien faire… L’identification des enjeux et défis concernant l’objectif du ZAN par le groupe de travail de l’ORF, estime le rapport, « montre que sa mise en œuvre ne va pas de soi, tant pour des raisons de faisabilité économique et opérationnelle, que d’acceptabilité ». Une « acceptabilité » qui relève de démarches participatives, pour Gwenaëlle d’Aboville, invitée par l’ORF au colloque de restitution des travaux. La directrice de l’agence Ville Ouverte, défend que la résolution de la contradiction entre densité et aménités urbaines peut se construire avec les habitants, en leur présentant les données du problème, et qu’habiter en hauteur, souvent, n’est pas un repoussoir, si c’est envisagé dans un cadre de vie choisi.
De ce point de vue de l’association citoyenne – et elle est sans doute déterminante – la notion d’aménagement urbain est interrogée et bousculée par l’injonction du ZAN. « Parler d’acceptabilité voudrait dire que la solution urbaine est déjà trouvée, et qu’il faudrait la faire accepter. Mais toutes les données d’entrée de la ville du ZAN ne conduisent pas à des solutions, et ces solutions varient d’un endroit à l’autre. Il va falloir être hyper-contextuel, Le sujet, c’est le débat, pas de prêcher la bonne parole à des habitants qui seraient butés ».
Des pistes pour le financement du ZAN et de la reconquête
Le financement du ZAN est un sujet sensible : le rapport du sénateur Blanc, rendu en juillet 2022, concluait que le ZAN n’est pas financé. Depuis, des pistes ont été avancées, sur le plan fiscal, par le Conseil des Prélèvements obligatoires, de premières mesures ont été votées dans le projet de loi de finances pour 2023 touchant la taxe d’aménagement, après celles votées en 2021. De son côté, confirme Constance Berté, du bureau du foncier au ministère de la Transition écologique, 500 millions d’euros sur cinq ans vont être consacrés à la « nature en ville », et le fonds friches est bien pérennisé au sein du fonds vert de 2 milliards d’euros en 2023.
Richard Curnier, directeur régional de la Caisse des Dépôts, confirme, de son côté, que la Banque des Territoires va proposer dès 2023 une batterie d’aides nouvelles aux collectivités, notamment des aides à l’aménagement, en quasi fonds propres dans les Sem, en subventions aux études, et en prêts, notamment pour permettre des portages fonciers de long terme – à côté de l’action des EPF.
Une « charge foncière verte »
Côté EPF, le directeur général de l’Epfif, Gilles Bouvelot, défend l’idée d’une « charge foncière verte ». Un montant additionnel aux montants des droits à construire, ou imposée comme « une externalité positive » des opérations de construction privée, pourrait financer le volet « nature » des projets. « Nous y travaillons, mais cela suppose une évolution législative », explique-t-il lors du colloque.
Philippe Laurent, maire de Sceaux, estime pour sa part que les espaces verts sont « des équipements publics, et doivent relever de l’impôt – et pourquoi pas un impôt sur le revenu d’échelon régional », provoque ce spécialiste pour qui la fiscalité locale est en train de disparaître, et qui préconise « de taxer l’enrichissement sans cause [des propriétaires privés NDLR], lorsque le foncier est valorisé par un investissement public. On sait bien moduler la taxe sur les bureaux, on devrait pouvoir cibler une telle taxe… »
Répondre aux besoins en développement
L’enjeu du ZAN dans la région porte largement sur la capacité du renouvellement urbain à combler des besoins qui restent soutenus, tant en logements qu’en foncier productif. Concernant les logements, si la loi Grand Paris fixait en 2011 un objectif de 70 000 logements à produire par an, le déficit accumulé entre 2010 et 2018 obligerait, pour répondre aux besoins, à construire 79 000 m² jusqu’en 2030, estime l’Institut Paris Région, coordinateur du rapport. Mais la production neuve n’était que de 63 400 unités en 2021.
Or, pour atteindre l’objectif sur une base de 55% de production en renouvellement urbain et de 45% en extension urbaine, l’Union nationale des aménageurs estime qu’en Île-de-France, les besoins en fonciers nouveaux seraient de 1 128 ha/an. Un chiffre calculé sur une moyenne de 35 logements à l’hectare, mais incompatible avec la tenue d’un objectif de division par deux de la moyenne de 884 ha/an (ou 962 ha selon les périodes de référence). Les bases de ce calcul sont intenables.
Trois grands axes interdépendants de propositions, déclinés par échelles et par acteurs
1 – Mieux connaître le foncier et ses enjeux pour calibrer les interventions et dépasser les résistances
2 – Impulser une véritable stratégie régionale ZAN et l’accompagner d’une régulation foncière accrue aux différentes échelles
3 – Faciliter la mise en œuvre opérationnelle
Renouvellement urbain, densité et nature
La double question majeure posée par le rapport de l’ORF est bien celle de la capacité en fonciers de renouvellement urbain, en même temps que celle de la densité. Un enjeu d’autant plus complexe, note le rapport, si on le croise avec une demande de renaturation – notamment pour l’adaptation des villes au changement climatique.
Emmanuelle Gay, directrice régionale de l’environnement, de l’aménagement et des transports, rappelait, en ouvrant le colloque de l’ORF, que le « changement de paradigme » apporté par l’objectif ZAN tenait bien dans le mot « net ». Autrement dit, les hectares renaturés seront décomptés des hectares d’espaces naturels agricoles et forestiers concernés consommés. D’ailleurs, a-t-elle rappelé, l’Île-de-France va se distinguer des autres régions en établissant sa propre feuille de route, qui sera formalisée dans le Sdrif-e. Le vice-président qui en est chargé au conseil régional, Jean-Philippe Dugoin-Clément, rappelait en clôture du colloque que l’arrêt du Sdrif était planifié pour juillet 2023, et son adoption un an plus tard, après une enquête publique pendant l’hiver.
Pour l’élu qui préside également l’Epfif et Grand Paris Aménagement, l’un des points clés concerne « les zones d’activité économique, 35 000 hectares en grande partie obsolètes, usées, en perte de vitesse… » Car, montre le rapport de l’ORF, « les besoins en foncier productif ne faiblissent pas ». Ce secteur représente un quart de la consommation foncière entre 2012 et 2021 – il dépasse aujourd’hui l’habitat, et la tendance est plutôt à l’accroissement, avec l’essor de la logistique et des besoins de stockage. La production d’énergies renouvelables pose aussi des questions foncières pour tenir l’objectif de doublement à 2030. Les seuls méthaniseurs nécessiteraient 600 ha.
Une diminution du nombre des opérations d’aménagement
Concernant les zones d’aménagement concerté (ZAC), le rapport rappelle que la Drieat observe depuis les années 90 un essor des opérations en renouvellement urbain et une baisse des ZAC en extension ; les ZAC en extension reculent non seulement en nombre mais aussi en part du volume de programmation. Elles représentaient 60% de la programmation en m² de surface de plancher des ZAC créées dans les années 1980, elles n’en représentent plus que 21% dans les ZAC créées depuis 2010.
La baisse du nombre d’opérations d’aménagement (qu’il conviendrait de mieux objectiver note le rapport) peut ainsi s’expliquer en partie par les difficultés à faire émerger des projets équilibrés financièrement. En plus des prix fonciers et immobiliers, des surcoûts liés notamment à la dépollution et à la remise en état des terrains rendent l’atteinte de l’équilibre économique des opérations en recyclage plus complexe qu’en extension. Le financement (fonds friches pérennisé…) et la fiscalité appliquée aux nouveaux modèles d’opérations d’aménagement à promouvoir « mériteraient d’être repensés pour assurer l’émergence de projets permettant ainsi de répondre aux objectifs de programmation », pour le rapport Bouvelot-Apparu.
Un rôle nouveau des aménageurs ?
Le rapport en appelle à « un rôle nouveau pour la filière de l’aménagement », en ouverture de sa série de propositions concernant la mise en œuvre opérationnelle des objectifs du ZAN – ce qui comprend notamment son financement. Le rapport interpelle donc chacun des acteurs de l’aménagement francilien, dans un contexte de réduction du nombre des opérations.
Evoquant « un moment charnière dans l’acte d’aménager », Benoist Apparu et Gilles Bouvelot demandent « un pas de côté voire un nouveau rôle » pour les acteurs publics et privés de la filière aménagement. Un nouveau rôle détaillé dans les « propositions » du rapport. Les Rencontres 2022 du Club Ville Aménagement avaient déjà révélé combien les aménageurs s’interrogeaient sur la « refondation » de leur métier. Le Réseau National des Aménageurs (RNA) appelle à « oser l’aménagement ». L’ORF montre maintenant combien l’enjeu du ZAN bouscule à son tour la filière.
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