« Ne pas faire du CNR un colloque de plus, mais un lieu où l’on se dit les choses ». Le vœu d’Olivier Klein, ministre délégué chargé de la Ville et du Logement, qui ouvrait, lundi 28 novembre, les débats d’un conseil national de la refondation « plein et entier » consacré au logement, a été entendu. La « parole libérée » des acteurs de la filière a résonné clairement dans la chapelle des Récollets de la Maison de l’architecture d’Île-de-France, où le ministre les avait réunis.
Certains pourraient y voir les prémices d’un véritable Grenelle du Logement, une demande forte qui avait d’ailleurs surgi lors du premier tour de table du CNR à Marcoussis, formulée par « la quasi-totalité des acteurs » comme l’a révélé Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, et qui résonne avec l’appel lancé en avril 2022 par l’USH, la Fondation Abbé Pierre, la Fédération du bâtiment, France Urbaine, Intercommunalités de France et la Fédération des promoteurs, réunis au sein d’une « Alliance » inédite et réclamant de faire du logement « une grande cause nationale ».
Olivier Klein appelle les acteurs du logement « à l’union sacrée »
En évoquant la menace de « bombe sociale » que laisse planer la crise du logement, Olivier Klein a visiblement entendu et repris à son compte les attentes formulées depuis quelques mois par le monde du logement. Il espère que le travail d’intelligence collective qui débute aujourd’hui permettra de surmonter les blocages et d’aboutir à des solutions opérationnelles, rapides à mettre en œuvre et surtout partagées : « ce dont on a besoin, c’est de dégager quelques consensus sur l’état du logement en France, sur les orientations, sur les équilibres à trouver. Nous avons besoin de les traduire en grands choix politiques, nourris par une ambition et une seule, loger tous les Français. Et nous avons besoin de réaliser pour cela l’union sacrée, pour donner à ces choix politiques un prolongement tangible dans la vie de nos concitoyens. État, territoires, bailleurs sociaux, acteurs du logement, monde économique, monde associatif, tous nous partageons le même sentiment d’urgence, tous nous devons pousser dans le même sens ».
Le ministre du Logement a donc fixé un cap à ces travaux, qui visent, tout à la fois, à « redonner du pouvoir d’habiter aux Français », « réconcilier la France avec l’acte de construire » et « faire du logement l’avant-garde de la transition écologique ».
Première conviction, l’État doit jouer un rôle de régulateur, de médiateur et d’incitateur. « En matière de logement, on ne peut pas laisser nos concitoyens dans un face-à-face brutal avec le marché (…) Nous devons donner aux français du pouvoir d’habiter (…) réinstaller l’idée d’un parcours résidentiel et en faire un parcours d’ascension républicaine. Les outils et les idées sont là. Je crois à « Logement d’abord », dont nous devons réussir la seconde étape, je crois au besoin d’un pacte de confiance entre l’État et le mouvement HLM, je crois en des dispositifs de seconde vie qui permettront d’aller plus vite, je crois en « Ma Prime Adapt' » pour aider les plus dépendants à bien vivre chez eux, je crois en l’avenir du prêt à taux zéro, je crois en ce qui pourrait être un statut du bailleur privé, je crois même qu’il ne faut avoir aucun tabou, y compris sur la manière dont on peut faire évoluer le prêt immobilier ». « Les idées sont là, conclut-il, reste à bâtir des consensus, c’est ce que nous allons essayer de faire ensemble ».
Construire plus pour loger plus
Pour résoudre la crise du logement, Olivier Klein a également appelé à « construire plus, pour loger plus ». Soucieux de « réconcilier la France avec l’acte de construire », il souhaite que ce débat soit « mené sereinement ». « Faut-il encore construire ? Peut-on encore construire ? Certains soutiennent que la réhabilitation de l’existant et la réquisition des logements vacants seront suffisants pour faire face à la crise du logement. Ce n’est pas ma position. Ma position c’est de se donner tous les moyens de loger tout le monde. Si nous ne le faisons pas nous prenons le risque de construire une France décroissante et de laisser exploser une bombe sociale. Je refuse qu’on doive choisir entre sauver la planète et loger dignement les Français (…) A nous de le faire en étant exemplaires en matière environnementale ».
« Là encore, ce n’est pas l’imagination qui manque : aide aux maires bâtisseurs, décentralisation intelligente, avenir du Pinel, avenir du Fonds Friches, élargissement du BRS, mobilisation du foncier public, révision de la fiscalité sur les plus-values foncières, et pourquoi pas même expérimentation d’un contrôle des prix du foncier dans certaines zones ? On a fait l’encadrement des loyers, pourquoi ne pas essayer de faire l’encadrement du foncier ? » Le débat est ouvert, que le ministre souhaite « sans a priori et sans tabou ».
Dernière conviction et dernier axe de réflexion, « le logement peut être l’avant-garde éclairée de la transition écologique » a plaidé Olivier Klein, tout en soulignant le lien étroit entre transition environnementale et question sociale. Ces deux combats se croisent et se recouvrent en de nombreux points, comme pour l’éradication des passoires thermiques et la massification de la rénovation énergétique, que le ministre souhaite faire entrer « dans l’âge adulte ». Il faut passer « du mono geste à la rénovation globale », « du logement individuel au logement collectif » et « de la structuration d’une filière naissante à la consolidation d’une filière puissante ».
Crise du marché et « mur d’accessibilité » du logement
Le cadre ayant été donné, il était temps d’ouvrir les débats. Les premiers échanges ont démontré tout à la fois l’ampleur des attentes, révélé quelques doutes sur les attendus et des divergences sur le diagnostic. À lui seul, le duo choisi pour encadrer et animer les débats du CNR illustre bien la complexité et l’interdépendance des problématiques qui vont être abordées dans les prochains mois. D’un côté, Véronique Bédague, directrice générale de Nexity, de l’autre, Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
Pour la première, il s’agit de répondre aux premiers signes d’essoufflement de la filière : « la crise est vraiment là. La demande des particuliers aux promoteurs a fléchi d’un tiers. C’est un vrai sujet, même si on ne le voit pas encore dans les chiffres de la production. Ce que les promoteurs ne vendent pas aujourd’hui, on le retrouvera dans les bilans fin 2023 et début 2024 ». Pour le second, la dégradation du contexte économique est aussi source d’inquiétude, mais pour d’autres raisons. Christophe Robert alerte sur « le mur d’accessibilité du logement », avec un taux d’effort des ménages qui ne cesse de croître…
Responsabilités partagées entre élus locaux et nationaux
Du moins les deux s’accordent-ils sur la méthode : « il faut se limiter à deux ou trois sujets par groupe, pour se dire c’est là l’essentiel, repérer les blocages et définir les bons objectifs. Mais je ne sais pas quels sont les objectifs du gouvernement » s’interroge Christophe Robert. « Il faut aller chercher les noeuds, remettre l’État à la place qui est la sienne, renchérit Véronique Bédague. Combien doit-on produire de logements ? L’État a laissé la responsabilité du logement aux collectivités et aux maires, mais la somme de ces bonnes volontés ne fait pas un objectif. Il faut redéfinir une politique globale du logement ».
« Vous posez la question du partage des responsabilités entre les élus locaux et nationaux, est intervenu Christophe Béchu. Vous dîtes que les maires sont en première ligne, c’est à la fois vrai et faux. Certains ont du mal à attirer les promoteurs, alors que d’autres croulent sous les sollicitations. Il faut profiter de l’arrêt du Pinel en 2023 pour se demander que faire de l’argent, que faire du zonage ? » Alors que des voix s’élevaient pour s’interroger sur l’utilité de ce CNR et sur les suites que le gouvernement allait lui donner, le ministre de la Transition écologique s’est montré déterminé à saisir « l’opportunité » qui s’ouvre aujourd’hui : « nous sommes à la croisée des chemins (…) Il faut profiter à la fois du point d’arrivée de la planification écologique, des financements disponibles et du mouvement de décentralisation-mobilisation des élus ».
Des idées assénées mais pas encore débattues
Pendant ces trois heures de séance inaugurale, plusieurs idées ont fusé, ainsi que de nombreuses questions. Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice et ancienne ministre du Logement dans les gouvernements de Pierre Bérégovoy et de Lionel Jospin, s’est indignée de l’envolée des prix du logement, décorrélée de la hausse des salaires. Elle se demande comment réguler le foncier de manière opérationnelle.
Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers a regretté l’absence des maires de France – il y en avait quand même un certain nombre dans la salle – et a réclamé qu’on leur redonne du « pouvoir d’agir » ou à tout le moins une motivation supplémentaire pour signer les permis de construire, par exemple une part de la TVA immobilière. Thierry Repentin, président de l’Anah, a posé la question sensible de la rente foncière – « on fait chaque année des millionnaires en modifiant le PLU » – et a appelé à modérer les ardeurs des promoteurs nationaux, dont l’intervention déstabilise les prix locaux du foncier.
Benoist Apparu, lui aussi ancien ministre du Logement, dans le gouvernement Fillon, « maire d’une zone détendue et promoteur sur une zone très tendue » (il est président d’Emerige), a réclamé des datas fiables et territorialisées pour mesurer la réalité des enjeux. Plus simplement, il appelle les élus à « respecter le droit » : « le permis de construire est un document réglementaire pas un document d’opportunité »… Toutes ces questions, toutes ces idées, mériteront d’être débattues, après avoir été simplement assénées. Les participants ont désormais quatre mois pour s’entendre sur le diagnostic et les solutions.
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