De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque l’économie verte ? Le plus simple est de se référer au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). « L’économie verte est une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources », peut-on lire sur le site du PNUE. En bref, l’économie verte recoupe les secteurs du quotidien, à savoir les transports, le bâtiment, les déchets, les énergies ou encore l’agriculture. Construire une économie décarbonée, résiliente et souveraine, tel est l’objectif du plan « France 2030 » présenté par le Président de la République, le 12 octobre 2021. Doté de 30 milliards d’euros sur cinq ans, le nouveau programme d’investissement prévoit d’en consacrer près de la moitié à la transition écologique. La France souhaite à ce jour faire des Outre-mer des « territoires pionniers » en matière de développement durable, notamment à travers le déploiement rapide des énergies renouvelables, une meilleure gestion des déchets ou encore la protection de la biodiversité. Quelle mobilisation du côté des territoires ultra-marins ? Quels freins ou difficultés rencontrées ? Enfin, quels enseignements, utiles à tous, à venir en tirer ?
La restauration collective limite le gaspillage
Boris Petricien, DG de la Spl Soges en Martinique, spécialisée en restauration collective, « ne fait pas de l’environnement à proprement parler ». Mais la restauration collective « consomme énormément d’énergie. Notre Epl s’est donc très vite adaptée à l’économie verte, dans la perspective de réduire notre empreinte carbone et énergétique. S’est ensuite greffée toute une réflexion sur le bâti mais également sur la production de repas via le conditionnement ». Dès lors, plusieurs actions ont été engagées : « Sur les bâtiments, nos trois cuisines ont fait l’objet d’une étude énergétique. Nous avons décidé de recourir à un système d’optimisation de la chaine de froid, puis de renégocier nos contrats avec Edf, de veiller à une meilleure maintenance et une meilleure rénovation de nos matériels, comme le relamping systématique en led ».
La dynamique Agec et Egalim
La même démarche a prévalu concernant la production de repas. Un pré-diagnostic du gaspillage alimentaire dans les cuisines, la redéfinition des menus avec identification des denrées les mieux consommées au niveau local, une étude prospective sur le maintien de cuisine dans le cadre des lois Agec et Egalim ont été menés. Par ailleurs, une étude a été menée pour une évolution du cautionnement des repas avec suppression du plastique à usage unique, test de bacs inox, barquettes en cellulose (loi AGEC), renouvellement du parc automobile. Depuis janvier 2022, une démarche RSE est en cours de déploiement : sensibilisation de tous les services, définition d’un plan d’actions concertées, etc. « En termes d’actions à venir, nous avons fait le choix de rencontrer d’autres collègues, 11 Sociétés publiques locales travaillant également dans la restauration collective, lesquelles se sont regroupées autour de la mise en place d’un système d’autonomisation de la gestion des flux électriques. Très concrètement, en fonction du badge, on baisse les températures dans les couloirs avec une chambre froide maintenue à température légale pour ne pas rompre la chaine du froid.
Parallèlement, un travail avec la Martinique a également été engagé pour alimenter la soupe alimentaire pour les animaux (via le broyage des épluchures) mais également la transformation des restes en grains », assure-t-il.
Le vent l’emportera
Rodolphe Foucaud, responsable foncier de Valorem, en charge de l’animation de cet atelier, insiste sur le fait de « faire mieux avec moins ». Didier Chambeau, responsable développement de Guadeloupe ENR SEML, répond justement à ce critère : « Guadeloupe EnR est une société d’économie mixte locale, créée en 2015 par le Sy.MEG (syndicat mixte d’estricité de la Guadeloupe) avec l’appui d’autres actionnaires privés : (Evergaz, Valorem, SASU On Time), d’une communauté de commune mais également des actionnaires particuliers. Elle a pour objectif de dynamiser le secteur des énergies renouvelables pour aider à la transition énergétique de la Guadeloupe. L’enjeu est conséquent puisque à ce jour, le taux de dépendance énergétique de la Guadeloupe est de 89 % et la part des ENR dans la production des ENR est de 18 % », explique-t-il. L’autonomie énergétique en 2030 est-elle atteignable ? « Tel est l’objectif fixé par le Grenelle pour la Guadeloupe. L’île est pourtant soumise à des contraintes énergétiques et climatiques spécifiques : un réseau électrique isolé et donc plus fragile, une forte dépendance aux énergies fossiles importées, une vulnérabilité face aux changements climatiques. Nous visons deux objectifs : assister les collectivités locales, puisque nous avions constaté qu’à l’époque, nombre d’entre elles étaient à l’écart de la transition énergétique des territoires, offerte à l’appétit des développeur privés, issus de multinationales. Nous leur soumettons des projets types d’efficacité énergétique dans les domaines de l’éclairage public, de la transition énergétique des bâtiments des collectivités. Depuis peu, dans le cadre d’une mission financée par l’Ademe, nous prenons part aux réseaux régionaux des conseillers appelés Les générateurs ». Des projets innovants émergent, comme le premier parc éolien multi mégawatt des Antilles françaises, inauguré récemment à Sainte-Rose, en Guadeloupe.
Sainte-Rose, exemple à suivre
Ce dernier comprend 8 éoliennes de 2 MW avec des mâts de 78 mètres de haut, soit 16 MW au total. Guadeloupe EnR a pris une part de 5 % au capital de la société Sainte-Rose pour le soutenir tout en participant à l’assistance à maîtrise d’ouvrage. Le parc fournit une énergie électrique non-intermittente qui couvre près de 65 % des besoins en électricité de la population de Sainte-Rose (près de 20 000 habitants). La centrale éolienne dispose en plus d’une unité de stockage d’électricité, pour faire face à cette production irrégulière d’électricité. « C’est un véritable bond en avant en Guadeloupe ».
Freins administratifs
Jean-Luc Armougon, responsable de l’agence Caraïbes Valorem, filiale du groupe Valorem implantée en Guadeloupe, explique qu’il est « en lien étroit avec les acteurs locaux pour mener à bien des projets d’énergies renouvelables dans toutes les Caraïbes. Notre objectif principal : fournir de l’électricité verte de manière responsable en s’engageant tant sur la qualité que la quantité de l’électricité injectée sur le réseau. Nous sommes partenaires aujourd’hui de nombreuses Sem, via une entrée dans le capital ou sur la base d’un montage de projets avec elles ». Des freins subsistent, qu’il faudra surmonter, notamment en matière d’instruction des dossiers. « Les études peuvent aller vite mais le temps de la décision administrative, notamment en matière de raccordement, est trop long. Travailler dans une Epl permet de mieux maîtriser cette temporalité sur le temps long. Nous devons enfin investir davantage dans les circuits courts, l’exemple du parc éolien de Sainte-Rose, permettant de fournir plus de 17 000 personnes en électricité, étant assez parlant ».
Pas les moyens de nos ambitions
Pour Jonathan Muller, Ingénieur EnR et mobilité durable de l’Ademe, « nous ne sommes pas encore au rendez-vous concernant l’autonomie énergétique, puisque la Guadeloupe est dépendante de l’énergie fossile à hauteur de 83 %, 92 % pour la Martinique ou encore La Réunion. Nous devons bénéficier d’un cadre de compensation pour financer les tarifs verts, les travaux d’isolation des bâtiments ou bien les diagnostics de performance ». Laurent Blériot, DG de la Saeml Cyclea à La Réunion, aura le mot de la fin : « Le changement climatique sur nos territoires, on va le subir alors que notre contribution à ce changement en Outre-mer est marginale. Vraie question : est-ce que les lois tiennent compte de nos particularités ? On sait que dans 50 ans, on devra faire face à l’arrivée de réfugiés climatiques. Comment fait-on ? Est-ce qu’on nous donne les moyens de nos ambitions ? Exemple : loi AGEC et réduction des emballages ; on y est très favorable mais dans la pratique, on ne peut pas être au même niveau qu’à l’échelle nationale. La communication est nationalisée. Or nos territoires ne disposent pas de centre de tri, on va se retrouver avec encore plus de déchets car il n’existe pas de solutions à l’heure d’aujourd’hui. La taille de nos territoires ne permet pas de valoriser ces produits-là ».