Selon les chiffres d’Adéquation, l’activité en promotion immobilière est en net recul en 2022, avec moins de 90 000 ventes au détail, soit -20% par rapport à 2021. Surtout, cette baisse s’accentue depuis le printemps 2022. Pensez-vous que la crise est déjà là ?
Nous ne sommes même pas à notre sens dans « la crise », mais plutôt dans « les crises ». Sur le marché du logement, on enregistrait déjà une crise de l’offre depuis quelques années. On ne produisait pas assez de logements, en particulier en promotion immobilière, et surtout cette offre n’était pas suffisamment adaptée aux besoins, notamment parce qu’elle était souvent chère par rapport aux revenus des ménages. On arrivait à répondre aux ménages les plus aisés, mais les ménages de la classe moyenne étaient de plus en plus exclus. On avait donc un vrai problème de volume de logements réalisés.
Ce qu’on enregistre depuis le printemps 2022 – ça ne se voyait pas trop au printemps et à l’été, ça a commencé à se voir à l’automne, et ça s’est véritablement vu au dernier trimestre – c’est l’apparition d’une crise de la demande, qui vient s’ajouter à celle de l’offre. Elle n’a fait que s’accentuer, avec la hausse rapide des taux d’intérêt, qui a désolvabilisé rapidement les ménages et qui leur a fait perdre plusieurs dizaines de milliers d’euros de capacité d’achat. Les prix de l’immobilier continuent de monter, alors que les capacités budgétaires des ménages sont à la baisse. Il y a un écart qui se creuse. Ce phénomène touche en premier lieu les primo-accédants, qui ont peu ou pas d’apport, mais par effet de chaîne, même les secundo-accédants, qui voulaient acheter plus grand, se retrouvent dans une situation où ils ont du mal à vendre leur logement, ou ils le vendront moins cher que ce qu’ils espéraient, ce qui les met en difficulté dans leur parcours résidentiel. Donc, on a un marché qui se grippe et tout le monde reste un peu figé.
Mais revenons sur les chiffres. Un peu moins de 90 000 ventes en promotion immobilière (hors ventes en bloc) ont été comptabilisées en 2022, contre 110 000 en 2021. Je vous rappelle que les bonnes années de la promotion immobilière, on compte 130/135 000 ventes, et les années les plus dures – la dernière année de référence qu’on a, c’est 2008 – on est entre 80 et 85 000 ventes. Donc, on n’est pas encore descendu à ce niveau, mais on s’en est quand même fortement rapproché.
En 2008, la crise des subprimes avait aussi impacté les ménages, parce que les taux étaient remontés à ce moment-là. Cette crise était vraiment liée à la crise des financements, mais un certain nombre de mesures avaient été prises très rapidement, qui avaient permis au marché de rebondir très vite. C’est à cette époque que le dispositif de défiscalisation Scellier a été mis en place, dispositif favorisant l’investissement locatif, qui a rencontré un grand succès et qui a permis aux promoteurs de rebondir très rapidement. On a également assoupli les conditions d’accès au prêt à taux zéro, et il y a eu le fameux plan de relance de 30 000 logements, avec des bailleurs sociaux qui ont racheté les stocks des promoteurs, dans des valorisations acceptables pour tous les acteurs. Tout ça a fait que cette crise a été rapidement résorbée.
Aujourd’hui, on est un peu plus dans le dur, et surtout, on ne voit pas grand-chose se passer pour l’instant. On peut imaginer que l’Etat va proposer des mesures dans les prochains mois, parce que la situation est complexe.
Vous notez une accélération de la baisse au second semestre 2022. La tendance va-t-elle se poursuivre et s’amplifier ?
Le marché de la promotion immobilière est une activité cyclique, avec des phénomènes qui s’étalent dans le temps. Quand le marché s’amplifie et gagne des volumes, la croissance s’étale sur 18, 24, 36 mois, et de la même façon, quand on repart à la baisse dans des dynamiques négatives, ça ne se fait pas sur un ou deux trimestres mais sur 12 à 18 mois minimum, voire 24 mois ou possiblement plus. Si je reprends l’exemple de la crise qu’on a eue en 2008-2009, même si le rebond a été relativement rapide, nous avons enregistré 6 trimestres dans une dynamique négative, où le nombre de ventes réalisées chaque trimestre était inférieur à ce qui se faisait sur la période précédente. Donc, on est dans une logique de cycles, où les choses ne vont pas instantanément du plus au moins.
Si l’on regarde les chiffres de 2022, on s’aperçoit qu’on est rentrés dans une dynamique négative à partir du mois d’avril-mai 2022, deux mois après le début de la guerre en Ukraine. C’est à ce moment que les taux ont commencé à monter plus significativement (la hausse avait démarré avant), mais aussi les prix des matériaux, et le coût de l’énergie. Si on remonte un peu en arrière, on s’aperçoit qu’on était dans une dynamique négative dès la fin de l’année 2020 et au début de l’année 2021 – là c’était l’impact du confinement et de la crise sanitaire, lorsque le marché s’est un peu bloqué – puis on a rebondi, avec un effet de rattrapage en 2021, mais très rapidement ce rebond s’est atténué et, dès le milieu de l’année 2022, on est repartis dans une dynamique baissière.
A mon sens, on est rentrés dans un cycle négatif, où la baisse des ventes qu’on a enregistrée en 2022 n’est sans doute pas terminée. Ce n’est pas en janvier 2023 qu’on va repartir sur un cycle haussier. On peut s’attendre à ce qu’on ait encore un certain nombre de mois dans le dur. Nos prévisions en 2023, chez Adéquation, c’est que le marché est déjà un peu écrit, et qu’on fera probablement moins de ventes, en promotion immobilière de logement résidentiel classique, en 2023 qu’en 2022. On estime qu’on pourrait perdre encore 10 à 12%, soit un volume de 80 000 logements vendus.
-20%, c’est une moyenne. Notez-vous des différences selon les territoires ?
Ce qu’on observe, au-delà de ce -20% à l’échelle nationale, c’est que la quasi-totalité des types de territoires est en négatif. Il n’y a pas de territoire qui profite, qui aurait un fort rebond, à la différence de l’année 2021, où les agglomérations moyennes avaient plutôt bien fonctionné. En 2022, ça n’est pas le cas, tout le monde est en négatif.
Premier territoire en négatif, la région Île-de-France. La baisse est un peu moins marquée qu’au niveau national, on est à -14% de ventes en 2022 par rapport à 2021. En revanche, on arrive à peu près à 20 000 ventes sur l’année 2022 en logements neufs sur l’Île-de-France. Quand on regarde les années précédentes, c’est le volume le plus faible enregistré depuis 2015. On voit que c’est compliqué de produire, on manque de foncier, on manque d’opérations, malgré les JO, malgré le Grand Paris Express, et on est dans le dur. En 2019, 30 000 ventes étaient enregistrées/ On a perdu près d’un tiers du marché en trois ans.
Après, on a les grandes métropoles, Lille, Strasbourg, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Toulouse, Nantes et Rennes, qui sont dans une dynamique proche de la moyenne nationale, avec -21% en moyenne. Elles avaient déjà souffert en 2020 et en 2021, et en 2022, aucune n’a enregistré de dynamique positive par rapport à l’année précédente.
A côté de ça, une quarantaine d’agglomérations moyennes souffrent un peu moins, entre 50 000 et 150 000 habitants, comme Angers, La Rochelle, l’agglomération Biarritz-Anglet-Bayonne, Clermont-Ferrand, Mulhouse, Metz, Nancy, Reims ou encore Amiens. Ces agglomérations sont plutôt à -12% en moyenne, mais quand on rentre dans le détail, le bilan est plus contrasté.
Certaines ont connu un vrai rebond, et une vraie dynamique en 2022, avec plus de ventes qu’en 2021, et à l’inverse, certaines ont vraiment plongé en 2022. Parmi celles qui ont vraiment rebondi, on remarque Metz, Nîmes, la CA du Sicoval près de Toulouse, ou encore Besançon. Inversement, certaines villes ont un peu plongé, à l’image de Nancy, Lorient, de l’agglomération de Saint-Louis, en Alsace, de Saint-Etienne, Sète, La Rochelle ou Annecy. On voit certains points communs à ces agglomérations, même s’ils ne suffisent pas à expliquer la totalité des dynamiques. Celles qui sont situées en zone littorale ou dans des bassins d’emploi dynamiques sont plutôt dans le vert, quand les territoires moins attractifs, démographiquement et économiquement, sont dans le rouge.
Dans certaines villes, notamment Paris, Lyon ou Nantes, les prix de l’immobilier ont commencé à baisser. Cette inversion de tendance affecte-t-elle le marché du neuf ?
De légères baisses de prix sont apparues dans certaines villes, mais ce sont des baisses de prix dans l’ancien, et c’est vraiment la conséquence de la désolvabilisation des ménages. Sur le marché du neuf, c’est complètement différent, pour une simple et bonne raison, c’est que le prix du neuf n’est que la somme du prix d’un terrain, qui a été acheté il y a deux, trois ou quatre ans, avant que l’opération ne sorte, du prix de la construction, qui, on le sait, est plutôt croissant ces dernières années, et d’un certain nombre de frais – il faut payer l’architecte, il faut que le promoteur prenne sa marge et paye ses vendeurs parce qu’il faut bien commercialiser l’opération… – mais ce sont des micro-coûts par rapport au prix du foncier et au coût de la construction.
Donc, le prix de l’immobilier en neuf ne peut mécaniquement pas baisser si on ne baisse pas les coûts de construction et si on ne baisse pas le prix du foncier. La seule possibilité qu’on a trouvée aujourd’hui, même si ça reste – pour le moment – un sujet marginal en termes de volume, c’est de dissocier le foncier du bâti pour faire du bail réel solidaire. Là, on neutralise une partie du coût du foncier, ce qui permet de vendre du logement moins cher. Mais au global et en moyenne, les prix du neuf ne baisseront pas. Au mieux, ils stagneront, au pire ils augmenteront. Tout ce qui peut se passer – et c’est ce qu’on commence à voir – c’est que le marché se fige. Si les promoteurs ne vendent pas à leur prix d’équilibre, ils ne vont simplement pas faire l’opération.
Entre les prix qui montent et les capacités d’achat des ménages qui diminuent, il y a pourtant un risque d’effet ciseau. Comment analysez-vous l’écart entre ces deux fondamentaux du marché ?
Pendant longtemps, les taux d’intérêt très faibles ont neutralisé les hausses de prix de l’immobilier. Mais aujourd’hui, les taux montent et les prix continuent de monter, ce qui désolvabilise très fortement les ménages. Au début des années 2000, un T3 avec parking coûtait à peu près 150 000 euros en neuf. En 2023, ce même T3 coûte quasiment 300 000 euros, soit un prix qui a doublé en un peu plus de 20 ans.
En 2001, avec 2,5 SMIC et un emprunt sur 25 ans, on avait une capacité d’achat qui était d’environ 110/120 000 euros, pour un prix d’achat qui était d’un peu moins de 140 000 euros. On avait donc un petit delta, d’environ 20 000 euros, entre la capacité d’achat du ménage et le prix du T3 en neuf, delta comblé par l’apport du ménage, le coup de pouce des parents ou une aide ponctuelle de l’Etat ou de la collectivité locale (PTZ notamment). Mais ça fonctionnait, on n’était pas très loin.
Sur la période 2008-2012, l’écart s’est creusé. C’est le moment où le marché était un peu plus dans le dur, et où les taux sont remontés. Mais à partir de 2011-2012, les écarts se sont resserrés. Les ménages ont profité de la baisse des taux, et, pour un même salaire, ils avaient plus de capacité d’achat. Dans les très bonnes années, sur la période 2017-2019, où on enregistrait 130 000 ventes en promotion immobilière, voire un peu plus, la capacité d’achat des ménages était à peu près égale au prix de l’immobilier.
Aujourd’hui, le constat est différent. Les prix de l’immobilier augmentent toujours, mais les taux d’intérêt aussi. Conséquence : au 1er janvier 2023, par rapport au 1er janvier 2022, et pour la première fois depuis très longtemps, pour un même revenu, un ménage a perdu 20 à 30 000 euros de capacité d’achat, par rapport à la situation de fin 2021. Comme le prix du T3 a augmenté, il lui manque un peu plus de 60 000 euros, souvent plus que l’apport dont il disposait.
Plus les taux vont augmenter, plus l’écart va se creuser. Quand on écoute les professionnels, on entend que les taux pourraient continuer à augmenter jusqu’à l’été pour éventuellement s’aplanir au deuxième semestre, mais personne ne sait vraiment comment cela va évoluer. En 2024, cet écart entre la capacité et les prix pourrait possiblement être encore plus important.
Les accédants à la propriété perdent en solvabilité. Qu’en est-il des investisseurs, notamment les particuliers qui réalisent un investissement locatif ?
Ça a été un élément remarquable en 2022. Les investisseurs en Pinel ont reculé de 29% en 2022 à l’échelle nationale, soit plus que le marché, et plus que les propriétaires occupants. Les investisseurs ont été moins nombreux, alors même que le dispositif Pinel, qui régit l’investissement dans le logement neuf, a connu certaines évolutions et présente une attractivité fiscale moindre en 2023 qu’en 2022.
Historiquement, quand le dispositif Pinel a évolué ces dernières années, on a toujours eu un pic d’investisseurs sur la fin de l’année. Là, on ne l’a pas eu. Pour plusieurs raisons. D’une part, l’argent est plus cher, et certains ménages se demandent s’ils arriveront à couvrir leur emprunt avec le loyer de leur futur locataire. D’autre part, les prix de l’immobilier ont continué à augmenter, +5% sur 2022, avec un prix moyen qui frôle 5 300 €/m². Ça fait tout de suite des gros investissements, par exemple, 300 000 € pour un T3. Le dernier facteur, c’est la question des rendements, puisque les prix de l’immobilier ont monté beaucoup plus vite que les niveaux de loyers. Quand votre investissement dans l’immobilier neuf vous rapporte entre 2,5 et 3%, alors que votre Livret A vous rapporte déjà 3%, et qu’un certain nombre de placements financiers vous rapporteront possiblement plus dans les années à venir, il y a des arbitrages qui se font.
Cette fuite des investisseurs est vraiment significative : 29% d’investissements Pinel en moins, ça fait qu’on tombe à 38 000 ventes, et c’est une vraie interrogation pour les marchés locatifs de demain, parce que les ventes à investisseurs réalisées aujourd’hui, ce sont des logements qui arriveront sur les marchés locatifs dans un an ou deux. Dans les grandes métropoles, les tensions sur les marchés locatifs qu’on observe aujourd’hui ne vont faire que s’accentuer. Donc, c’est une vraie difficulté, qui s’ajoute au fait qu’une partie du parc locatif, particulièrement énergivore, ne va bientôt plus pouvoir être louée. Il y a une vraie tension, qui, par rebond, se reporte sur le parc locatif social, qui est déjà hyper tendu, en particulier dans les grandes métropoles. Les gens ne peuvent plus acheter, mais bientôt, ils ne pourront plus louer, faute d’offre suffisante.
Les investisseurs institutionnels sont historiquement peu présents sur le secteur. Fin 2020, ils ont pourtant commencé à regarder de près le marché de l’immobilier résidentiel français, qui apparaissait alors particulièrement résilient, à la différence de l’immobilier tertiaire, impacté par le télétravail, ou de l’immobilier commercial, dont le modèle économique est questionné par le développement du e-commerce.
Mais avec la hausse des taux et des conditions de financement, ces investisseurs se sont mis en pause depuis l’été 2022. Clairement, emprunter aujourd’hui à 2, 3 ou 4% pour des actifs dont les rendements sont trop faibles ne présente plus le même intérêt. Autant on pouvait penser que ça allait un peu redynamiser le marché en 2021, autant cette hausse des taux a conduit ces acteurs à rester attentistes.
Comment les acteurs, et en particulier les promoteurs, s’adaptent-ils à cette nouvelle donne économique ?
La bonne nouvelle, dans ces périodes de crise, c’est le foisonnement d’innovation et d’inventivité des acteurs. Parmi les sujets émergents, qui s’amplifient, le BRS monte en puissance, et sa commercialisation est un succès, alors que les doutes existaient pour certains acteurs, mais aussi l’immobilier serviciel, le coliving, les résidences séniors, l’habitat intergénérationnel ou encore, à titre d’exemple, la flexipropriété, une alternative à la location et à la propriété inventée par La Française et qui consiste à acheter un droit d’habiter temporaire…
Une autre évolution majeure est la massification de la réhabilitation, avec de l’ingénierie et des financements qui se mettent en place, dans des logiques à l’immeuble, pour maximiser les économies d’énergie. De nombreux acteurs sont aujourd’hui volontaires pour avancer sur ces questions de transition, sur la consommation foncière, sur la sobriété énergétique, même s’ils savent que ça a un coût. Pour aller plus vite, ils cherchent aujourd’hui à industrialiser un certain nombre de process.
L’intervention sur le parc ancien, sur la réhabilitation du parc existant, est d’ailleurs quelque chose que la plupart des opérateurs intègrent désormais à leur activité, par exemple à travers la création de filiales dédiées. En 2022, environ 380 000 logements neufs ont été mis en chantier, mais on peut penser qu’en 2030, on en fera seulement 200 000 ou 250 000 chaque année. C’est une trajectoire inscrite dans les objectifs de Zéro Artificialisation Nette. On fera du logement, mais d’une manière différente. Le marché n’est pas fini, il est en cours de redéfinition, La promotion immobilière a fait un peu moins de 90 000 ventes en 2022, les prochaines, elle en fera peut-être 80 000, mais je ne suis pas persuadé qu’on remonte aux 130 000 ventes de promoteurs observées les bonnes années. Cet indicateur-là n’est peut-être plus le bon.
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