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Le mal-logement, première victime de la crise immobilière

Publié le 9 février 2023

La Fondation Abbé Pierre présentait, mercredi 1er février, son 28ème rapport sur l’état du mal-logement en France. Son délégué général, Christophe Robert, a pointé le risque supplémentaire que la crise de l’immobilier fait planer sur les populations les plus fragiles, qui seront affectées par la baisse de la production de logements neufs et par l’extrême tension du marché locatif. Celui qui a été choisi par Olivier Klein pour co-animer le CNR Logement, au côté de Véronique Bédague, présidente-directrice générale du groupe Nexity, a aussi dénoncé les ponctions répétées imposées par l’Etat aux bailleurs sociaux, qui expliquent en partie la faiblesse de la production de logements sociaux et très sociaux. Le ministre de la Ville et du Logement a répondu point par point à Christophe Robert et tracé quelques pistes pour « redonner du flux dans le parcours résidentiel ».

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

La crise de la production immobilière aggrave par ricochet la situation du mal-logement en France et réclame un sursaut politique immédiat. Tel était en substance le message que le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, a tenu à faire passer lors de la présentation du 28ème rapport sur l’état du mal-logement en France, mercredi 1er février à la Maison de la Mutualité à Paris. Une mise en garde qui s’adressait au premier chef à Olivier Klein, ministre délégué chargé de la Ville et du Logement, venu répondre au terme d’une première matinée de témoignages et d’analyses aux critiques de la Fondation, particulièrement sévère à l’égard d’une politique du logement qu’elle estime « sans ambition ni priorité ».

Parallèles

Si les deux hommes ne s’accordent pas sur les mesures à mettre en œuvre, du moins partagent-ils quelques éléments de diagnostic sur la double crise de l’offre et de la demande qui frappe aujourd’hui le monde de l’immobilier et qui, en cascade, impacte les publics les plus fragiles, confrontés à une tension toujours croissante du marché locatif et notamment du parc locatif social. Selon le dernier décompte de la Fondation Abbé Pierre, 2,3 millions de ménages sont aujourd’hui en attente de logement social, un nombre en hausse constante, qui s’explique en partie par la hausse des prix à l’achat et à la location, en particulier dans les grandes agglomérations.

95 000 logements sociaux agréés en 2022

Il faut dire que la baisse de la production est particulièrement aiguë dans le domaine du logement social, avec des agréments en net recul depuis 2016, lorsqu’ils avaient atteint le niveau « record » de 123 000 logements. Depuis, la chute est constante et s’est accélérée ces dernières années, passant durablement sous la barre des 100 000 logements dès 2020, année marquée par la crise sanitaire. En 2022, le nombre d’agréments devrait s’établir à 95 000 logements environ, bien loin des 150 000 logements annuels réclamés par les associations pour résorber dans un délai raisonnable la très longue file d’attente des demandeurs de logement social.

Outre un contexte économique et financier dégradé, qui pèse lourdement sur l’activité immobilière, avec des coûts de construction et des taux d’intérêt qui s’envolent, les multiples « ponctions » opérées par l’Etat dans les comptes du logement social sont pointées du doigt par la Fondation. « Depuis 10 ans, calcule-t-elle, l’effort public pour le logement a chuté, en particulier depuis 2017, sous l’effet notamment des coupes budgétaires opérées dans les APL et dans les ressources des bailleurs sociaux. A tel point que le montant des aides au logement, exprimé en pourcentage de PIB, n’a jamais été aussi faible qu’en 2021 : 1,5% alors qu’il s’élevait à 2,2% en 2010, une baisse équivalente à 15 Md€/an ». Par aides au logement, on entend ici les prestations d’aide au logement (ALF, APL, ALS…), les subventions d’exploitation et d’investissement, ainsi que les avantages de taux et les avantages fiscaux.

La Fondation Abbé Pierre dénonce notamment « la principale décision de ce début de mandat qui aura été de prolonger en 2023 la RLS (réduction de loyer de solidarité) », ponction qui pèse sur les ressources locatives des bailleurs sociaux et qui leur coûte 1,3 Md€ en année pleine, ainsi que la hausse de la TVA sur les logements PLUS et PLS, relevée de 5,5% à 10% en 2018 et qui « reste pour l’heure maintenue à ce niveau ». S’y ajoute le relèvement du taux du Livret A à 3% en 2023, un niveau qui « alourdit la dette des organismes HLM de 3,75 Md€ par an : l’équivalent du double des ponctions opérées avec l’instauration de la RLS et l’augmentation de la TVA en 2018 ».

Redonner du flux dans le parcours résidentiel

Olivier Klein a reconnu l’insuffisance des chiffres de la production de logement très social, avec des agréments en baisse, en particulier dans les territoires ultramarins, et la nécessité de « redonner du flux dans le parcours résidentiel ». Il a toutefois tenu à souligner l’importance des aides à la pierre dans le budget 2023, avec une enveloppe de 550 M€, de l’argent qui doit aller « de la manière la plus universelle possible à la production et la rénovation de logement social », insistant sur ce deuxième volet qui permettra de donner une « seconde vie » à l’ensemble du parc.

Volontariste, il a rappelé la nécessité de « définir des objectifs de production et de rénovation et d’identifier les leviers financiers et techniques, dans un contexte difficile où chacun doit jouer sa partition ». « L’État doit mobiliser son foncier » a-t-il par exemple indiqué, pour renforcer le lien entre emploi et logement et, notamment, loger les fonctionnaires. Le ministre s’est dit favorable à l’encadrement des loyers, qu’illustre le récent transfert de compétences en matière de contrôle et de sanction auprès de la Ville de Paris, et s’est dit profondément attaché à la loi SRU, qui doit être « respectée partout et par tous ». Il souhaite enfin « encourager les élus locaux à construire plus », rappelant que « si l’on ne construit pas, la population baisse » et qu’il y a autant de risque à faire qu’à ne pas faire. Une part de la TVA « restituée aux maires qui construisent » est l’une des pistes évoquées par Olivier Klein pour « redonner l’envie de construire aux élus ».

L’hébergement d’urgence, amortisseur des insuffisances des politiques globales

Dans cette discussion à bâtons rompus avec Christophe Robert, Olivier Klein a aussi tenu à rappeler le « succès » du plan Logement d’abord, qui a permis de sortir 440 000 personnes de l’hébergement d’urgence, grâce à l’augmentation des capacités dans le logement social et très social, répétant comme un mantra qu’il n’y aura « pas une gare du Grand Paris sans une pension de famille ». « Hier, il y avait 203 000 places en hébergement d’urgence disponibles, ce qui représente 5,7 M€ dépensés par l’État chaque soir », a calculé Olivier Klein, défendant « la réalité des chiffres ». Certes, ce plan doit beaucoup à la contribution des 45 grandes métropoles qui l’ont accompagné et qui sont aujourd’hui consultées en amont de sa nouvelle mouture, au même titre que les associations Aurore, Emmaüs Solidarité ou la Fondation Abbé Pierre.

En attendant les arbitrages définitifs du plan Logement d’abord 2 et alors que 44 M€ y ont été affectés dans le PLF 2023, le ministre a listé ses priorités : créer et produire plus de logement adapté et abordable, prévenir les ruptures de la vie, accompagner avant, pendant et après, moderniser le 115 et le SIAO, et redonner de l’attractivité au travail social, par une meilleure reconnaissance, des salaires revalorisés et une meilleure formation.

Pour Christophe Robert, les progrès sont réels mais l’hébergement d’urgence ne fait que « compenser l’insuffisance des autres politiques et constitue un amortisseur de ces insuffisances. S’il n’y a pas d’encadrement des loyers et s’il n’y a pas plus de constructions, ces solutions d’urgence vont continuer à grandir », appelant à prendre en compte « la globalité des besoins ». Celui qu’Olivier Klein a choisi pour co-animer le CNR Logement, au côté de Véronique Bédague, présidente-directrice générale du groupe Nexity, a encore quelques mois pour faire passer ses messages. « Nous irons partout où on peut faire avancer les choses, mais il faudra écouter », a-t-il demandé au ministre.

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Par Cadre de Ville
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