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L’exode urbain : derrière le mythe, des réalités nouvelles

Publié le 10 mars 2023

Trois études financées par le Puca rendent un constat convergent. Entre 2019 et 2021, on peut parler, tout au plus, de quelques inflexions ou inversions de tendances, signaux faibles mais marqués, qui tracent de nouvelles perspectives dans la structuration des mobilités résidentielles. Trois équipes de chercheurs, revendiquant trois approches et trois méthodologies différentes, convergent pour dénier l’exode urbain annoncé dans les médias depuis le plus fort de la crise sanitaire. Cependant, s’ils dénoncent la construction d’un mythe, ils mettent en lumière, des intentions aux actes, de la méga-périurbanisation à la nomadisation, les traits saillants des évolutions, bien réelles, qui sont en cours d’apparition.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

L’exode urbain n’a pas eu lieu. Sur ce point, les trois équipes de chercheurs mandatées dans le cadre du programme POPSU Territoires, sous l’égide du PUCA et du Réseau rural français, pour éprouver la réalité d’un mythe largement relayé par les médias au moment de la crise Covid, n’ont pas l’ombre d’un doute. Toutes s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas eu de transfert de populations des villes vers les campagnes dans le cadre de la crise sanitaire qui a éclaté fin 2019 au cœur de la République populaire de Chine, et qui s’est répandue en quelques mois, provoquant en France le choc du premier confinement de mars 2020.

Pour autant, il serait tout aussi faux d’affirmer que la pandémie n’a eu aucun impact sur l’évolution des mobilités résidentielles en France, comme le prouvent les nombreux signaux, faibles mais distincts, enregistrés par les scientifiques au cours de cette période. Entre approche méthodologique innovante et consolidation des connaissances sur un sujet abondamment documenté, le mythe tissé par les médias a au moins eu le mérite de révéler quelques réalités et d’infimes variations statistiques qui tracent, peut-être, des tendances appelées à s’amplifier.

Trouver des parades méthodologiques et de nouvelles données

« Ce qui est nouveau c’est l’accélération de phénomènes anciens », soulignait Alexandre Coulondre, chercheur en économie associé au LATTS (Laboratoire technique territoire et société) et à l’Université Gustave Eiffel, lors de la session de restitution des trois consortiums de recherche organisée le 17 février 2023 au ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, à Paris. « Ça nous pousse à relativiser les effets d’annonce autour des transformations des dynamiques des territoires et notamment sur la question des crises. On est habitué à ce vocabulaire, de la crise sanitaire à la crise énergétique, mais il faut prendre cette notion de crise avec beaucoup de distance et se donner les moyens de l’observation des dynamiques des territoires sur le temps long ».

Travail de longue haleine qui se heurtait pourtant, dans le cas d’une étude commandée « à chaud », à un obstacle de taille. Quelles données mobiliser – et comment ? – pour apporter des réponses immédiates à cette question brûlante, alors même qu’il faudra attendre plusieurs années les résultats des futurs recensements de l’Insee pour vérifier la réalité du phénomène ? Un défi méthodologique que chacune des trois équipes a abordé par une face différente.

« Il s’agissait de travailler sur un phénomène très récent », abonde Alexandre Coulondre. « Il a donc fallu trouver des parades méthodologiques et de nouvelles données. C’est là qu’on a eu l’idée de travailler sur les données des plateformes numériques, notamment celles qui diffusent aux internautes des annonces immobilières ». Le consortium, fusion des compétences du LATTS, de l’agence de conseil et de recherche sur l’immobilier OGGI et du Credoc, a noué un partenariat inédit avec Leboncoin, plateforme de petites annonces qui compte 14 millions de visiteurs uniques par mois et qui lui a donné accès à ses données de navigation sur la partie immobilière du site de 2019 à 2021.

Le rôle réaffirmé des métropoles dans les projections de mobilités résidentielles

« Ce sont des données massives – 3,5 milliards d’observations statistiques ! – avec une forte couverture territoriale, y compris dans les territoires ruraux », embrasse Alexandre Coulondre. Surtout, ces données sont « disponibles en temps réel, autorisant le now casting », branche de la recherche qui vise à réaliser des prévisions en temps réel à partir de données régulièrement actualisées. « Sur le plan géographique, on sait localiser la position de l’internaute mais aussi la localisation des biens qu’il consulte à travers les annonces, et avec ces deux localisations, on peut reconstituer les projections géographiques de chaque internaute. En agrégeant l’ensemble de ces projections, on peut reconstituer, à l’échelle de la France, les projections d’un territoire à un autre. Bien sûr, il ne s’agit pas de mobilités effectives mais d’intentions, de désirs… À notre connaissance, c’est la première recherche qui étudie à si grande échelle la géographie des aspirations résidentielles des Français ».

Les cartes établies à partir de ces projections n’ont pas montré de révolutions majeures mais au contraire « la très forte stabilité » de la structure des projections des Français entre les phases pré et post-Covid, avec des intentions de mobilités qui ont eu tendance à se renforcer. « Le deuxième élément saillant, poursuit Alexandre Coulondre, c’est le rôle réaffirmé des métropoles et des grands centres urbains dans les projections, avec Paris, Marseille, Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, etc. L’essentiel des flux sont des flux d’urbains qui regardent soit leur propre pôle urbain, soit dans d’autres métropoles ». Finalement, conclut le chercheur, « les rêves des Français sont assez rationnels et s’inscrivent dans des tendances longues de peuplement ».

Le zonage utilisé par les chercheurs, en l’occurrence celui du SDES, le service statistique du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, permet de proposer une lecture un peu plus fine de ces projections, notamment à l’aune du degré de tension immobilière des territoires. « Ce qui apparaît très clairement, explique Claire Juilliard, consultante et chercheuse en socio-économie à l’agence OGGI, c’est que les projections des communes urbaines les plus tendues vers le rural ont eu tendance à augmenter. Non pas au plein cœur de la crise sanitaire, au T2 2020, mais plutôt en fin de période, au T2 2021. À l’inverse les projections des communes urbaines moins tendues vers le rural ont eu tendance à se tasser légèrement pendant notre période d’observation ».

Des marchés tendus vers les marchés détendus

« On retiendra deux idées, poursuit-elle. La première, c’est que la propension des urbains à se projeter dans le rural s’accentue quelque peu avec la crise, en tout cas pour les urbains des marchés les plus tendus, même si elle se joue dans des flux qui sont relativement petits. La seconde, c’est que les tendances qu’on repère ne dessinent pas forcément un départ de l’urbain vers le rural, mais aussi et peut être surtout à une projection de marchés tendus vers des marchés détendus. Ceci permet de recadrer le débat public sur l’exode urbain tel qu’il s’est imposé au moment de la crise, en 2020, et de plaider pour l’idée que quitter les villes pour la campagne, ça n’est pas forcément désavouer les villes ».

Marianne Bléhaut, directrice du Pôle data économie au Credoc, va encore plus loin dans le détail, en zoomant sur les « surliens », soit ce qui est apparu comme « nouveau et exceptionnel » dans le comportement des internautes entre l’avant et l’après crise sanitaire. Même s’ils ne représentent que 10% environ du trafic, leur analyse est riche d’enseignement. « Le surlien le plus important est celui qui va des zones urbaines tendues vers les couronnes périurbaines tendues, soit un mouvement du centre d’une aire urbaine vers sa périphérie, plutôt que de l’urbain vers le rural. Mais on a aussi quelques surliens, moins importants en termes d’ampleur, qui se dirigent vers le rural. Ces liens se sont légèrement renforcés pendant la crise sanitaire ».

La deuxième équipe de chercheurs s’est appuyée sur un autre jeu de données, « originales et disponibles à haute fréquence pour connaître quasiment en temps réel l’évolution des mobilités résidentielles pendant la crise sanitaire » comme l’évoque Julie le Gallo, enseignante-chercheuse à l’Institut Agro Dijon. Les consultations d’annonces sur le site Se Loger et les estimations de prix des résidences actuelles et futures sur le site Meilleurs Agents ont permis d’estimer les flux d’intention de mobilités résidentielles, tandis que les signatures de bail et les transactions remontées des agences vers ces deux plateformes ainsi que les contrats de réexpédition de courrier de La Poste, avec 10 millions de contrats signés depuis 2016, ont permis d’estimer le degré de réalisation de ces intentions.

Un regain d’intérêt pour les communes rurales

Pour Alexandra Verlhiac, économiste doctorante chez Meilleurs Agents, les intentions de mobilités résidentielles se sont bien infléchies entre janvier 2019 et septembre 2021. « Pour les utilisateurs urbains, la probabilité de rechercher en dehors de son agglomération a augmenté de 13% depuis la crise, souligne-t-elle, évolution qui vaut aussi pour les résidents ruraux, mais à un degré moindre, + 10,8%. Deuxième enseignement, les utilisateurs urbains ont une probabilité de rechercher dans le rural qui a augmenté de 7,7% depuis la crise ».

Des intentions aux réalités, la crise sanitaire a renforcé trois phénomènes qui étaient déjà à l’œuvre. D’abord, le renforcement du processus de périurbanisation. « Quelle que soit la taille de l’aire urbaine, on a une augmentation des flux nets de la commune centre vers les autres communes du pôle urbain ou de la couronne, souligne Julie le Gallo. A l’intérieur même de la couronne périurbaine, on observe ce même phénomène de desserrement urbain, avec une augmentation des déplacements des ménages qui ont pour origine les communes qui sont centre d’équipement vers des communes qui sont plus éloignées et moins pourvues ».

Les territoires littoraux payent le prix de leur attractivité

Ensuite, le regain d’attractivité résidentielle des territoires ruraux. « Le solde migratoire des communes rurales était en baisse jusqu’à la crise sanitaire, c’était le plus élevé de toutes les catégories urbaines. Mais avec la crise sanitaire, les communes rurales ont bénéficié d’un regain d’intérêt, puisque le solde migratoire est passé de 7,9 ménages pour 1000 à 9,47 ménages pour 1000 ce qui est la plus forte hausse parmi toutes les catégories d’unités urbaines. À l’opposé, le solde migratoire s’est creusé dans les grandes villes et encore davantage à Paris ». L’évolution du solde migratoire est aussi particulièrement marquée dans les territoires littoraux, comme le montre la carte ci-dessous.

Enfin, la chercheuse relève une « accélération du processus de rééquilibrage de l’armature urbaine », avec un déplacement des ménages vers des villes de plus petite taille. « Avec la crise sanitaire, toutes les parts des déménagements vers des villes un peu plus petites ont augmenté, alors qu’à l’inverse, celles des plus grandes villes ont baissé ».

Derniers volets de cette étude, un focus sur l’unité urbaine de Paris et une analyse des effets des mobilités résidentielles sur les prix de l’immobilier. Sur le premier point, Marie Breuillé, chercheuse en économie à l’INRAE signale que « parmi les ménages qui ont changé de résidence principale pendant la première année de la crise sanitaire, 7 sur 10 sont restés dans l’unité urbaine de Paris, une proportion en baisse de 3,6 points par rapport à la période pré-covid. En proportion, les habitants de l’unité urbaine de Paris sont davantage partis vers des territoires de province, qu’il s’agisse de grandes villes (+ 0,7 point), de villes moyennes (+ 0,8 pt), de petites villes (+ 1 pt) et communes rurales (+ 1,2 pt) ».

Quant à l’effet des mobilités sur les prix de l’immobilier, Marie Breuillé remarque que « les tendances se sont inversées depuis la crise ». Alors qu’entre mars 2017 et mars 2020, les prix en zone rurale n’avaient augmenté que de 4,6%, ils ont progressé de 21,5% depuis mars 2020. Dans le même temps, les prix ont diminué de 2,5% à Paris… Enfin, on observe un « fort dynamisme sur le marché des maisons », avec notamment une hausse des prix de 41,5% depuis mars 2020 dans les départements des Côtes d’Armor et du Calvados.

Les classes moyennes et populaires en voie de méga-périurbanisation

A cette approche quantitative, la troisième équipe de chercheurs a tenu à apporter des nuances qualitatives. L’étude s’est cette fois appuyée sur une centaine d’entretiens avec les acteurs des territoires ruraux, dans la région lyonnaise, les Cévennes, les Corbières, les Pyrénées audoises, les Vosges du Nord et le Lot, ainsi qu’avec les agents des CAUE pour disposer d’un éventail géographique suffisamment large. Dans ces régions marquées par l’exode rural, la promesse d’exode urbain constituait un « levier de développement inespéré », selon les mots de Max Rousseau, politiste et géographe au Cirad.

L’étude a mis en lumière la variété des profils des ménages qui quittent les métropoles pour ces territoires. On retrouve les télétravailleurs, ceux qui ont profité de « l’extension du domaine des possibles » qu’autorise la numérisation des modes de travail, au prix, il est vrai, d’une plus grande mobilité, mais aussi « ceux qui ont changé de vie, avec des bottes aux pieds et les pieds dans la terre, diplômés en reconversion avec un projet professionnel précis, ancré dans le territoire, souvent dans l’agriculture, l’élevage ou le soin à la personne », comme les décrit Aurélie Delage, géographe à l’Université de Perpignan. « Dans ces ménages, précise-t-elle, il y en a souvent un qui garde un emploi en télétravail, par sécurité ».

Autres profils, moins médiatisés, les retraités et préretraités, « les classes moyennes ou les fractions stabilisées des classes populaires, qui souhaitent une maison avec jardin et qui vont être reportés en dehors des métropoles en raison de la montée des prix dans les cœurs métropolitains, ce qu’on a qualifié de méga-périurbanisation » évoque Max Rousseau, et enfin, « des flux de marginaux, populations aux modes de vie nomade, impossibles à quantifier, mais dont nos entretiens avec les élus montrent qu’ils ont augmenté depuis 2020 ». Ces trois derniers profils « rompent avec le traitement médiatique mais sont consonnants avec ce que les spécialistes de la sociologie rurale et de la géographie appellent la renaissance rurale » conclut-il.

Pour Anaïs Collet, sociologue et maîtresse de conférence à l’Université de Strasbourg, « la numérisation des modes de travail » est l’une des motivations de ce retour à la terre, avec « un effet repoussoir pour certains travailleurs ayant comme conséquence des bifurcations professionnelles vers des métiers de l’artisanat ». Autres motifs d’évasion, « une forte aspiration à se rapprocher de la nature et une prise de distance avec le mode de vie citadin, associé à une pression excessive notamment financière, à une accélération, à une perte de sens » et enfin « des préoccupations écologiques grandissantes et des choix immobiliers pour se prémunir contre les conséquences du changement climatique ».

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Par Cadre de Ville
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