« L’offre de logements réside surtout dans ce qui est déjà bâti », écrivent Catherine Sabbah, directrice de l’Institut Idheal avec Mickaël Nogal, ex-député de Haute-Garonne devenu directeur de sa société de conseil « Convergences », sans remettre en question que « bâtir des logements neufs est important ». Et, ajoutent-ils, quand on parle de « réconcilier la France avec l’acte de bâtir », on ne parle pas uniquement des Français, mais de « l’ensemble des habitants et citoyens, mais aussi des opérateurs et des institutions, Etat et collectivités, parfois responsables de l’inertie dénoncée ». Ainsi se voit recadrée la commande ministérielle, dans le document que Cadre de Ville a pu consulter.
Car inertie il y a, à commencer par un rejet croissant de la production de logements neufs, relève le groupe de travail. Si beaucoup d’encre coule pour évoquer la différence entre densité réelle et densité perçue, les rapporteurs creusent une autre piste, majeure : « Cette opposition et/ou cette défiance tirent aussi leur origine du sentiment que les nouveaux logements ne vont rien apporter de positif à ceux qui sont déjà là ». En effet, ils ne leur seront pas accessibles : « le logement social insuffisant […], le logement libre trop cher. »
Les rapporteurs ont eu à synthétiser des contributions variées de différents horizons, chacun apportant ses propositions, acteur ou institution, professionnel ou fédération. Le résultat, pour composite qu’il soir, reflète bien le kaléidoscope des points de vue.
Réconcilier, non pas avec l’acte de bâtir, mais avec celui d’aménager
Catherine Sabbah et Mickaël Nogal ouvrent une voie prometteuse en changeant la perspective – et la formulation – de la question posée par le ministre Olivier Klein. « Une manière de réconcilier la France avec la production de logements nouveaux consisterait à prendre en compte les souhaits positifs, ou les doléances, des habitants déjà là en tentant de démocratiser, non pas l’acte de bâtir mais celui d’urbaniser et d’aménager. » On le sait, de nombreux maîtres d’ouvrage s’y emploient au quotidien, avec des résultats.
Le rapport interroge, en toute logique, la mesure de la demande, « cette inconnue », ainsi que la construction de l’offre locale, forcément locale, qui tienne compte de l’existant pour déterminer la part du neuf. De fait, la proposition 8 demande qu’on cesse de faire référence à un objectif national de construction de logements – c’est pourtant ce que viennent encore une fois de faire les ministres Christophe Béchu et Olivier Klein, de passage au Mipim, en chiffrant le besoin à « 370 000 logements par an, dont 125 000 sociaux », cependant que la Fédération des promoteurs avançait le chiffre de « 450 000 par an pendant dix ans », après une étude de l’ESCP Business School… Les objectifs nationaux ne sont jamais déclinés, notent les participants au groupe de travail, entre logements neufs et logements rénovés, et pas plus territorialisés.
Déléguer davantage aux AOH, donner un bonus aux « maires engagés »
La territorialisation des politiques du logement, prônée par le groupe de travail, conduit notamment à deux préconisations :
– la première, de déléguer davantage de compétences aux Autorités organisatrices de l’habitat, créées par la loi 3DS. Brest, Rennes et la Métropole de Lyon se sont ainsi déjà constituées. Seize EPCI à date remplissent les 4 critères pour devenir AOH, rappelle le rapport, qui précise q’une trentaine d’autres y réfléchissent.
– la deuxième est un « bonus aux maires engagés ». Alors qu’il existe déjà un mécanisme basé sur le nombre de permis de construire attribués, il s’agirait d’une aide forfaitaire d’un montant calculé sur une moyenne de logements construits et/ou transformés (à condition qu’ils aient été vides auparavant et que ces travaux les remettent sur le marché) au cours des trois/six dernières années. Le montant de l’aide s’accroît avec le caractère social du logement produit (sauf dans les communes carencées).
L’outil OTELO, pour territorialiser les besoins
Justement les propositions remises au ministre du Logement mettent en avant l’outil OTELO développé par la DHUP de son ministère avec le Cerema. OTELO permet de prévoir les besoins en production de logements par bassin d’habitat et par EPCI, en fonction des scénarios politiques décidés par une collectivité. Selon que la collectivité appuie sur la lutte contre la vacance, les logements pour étudiants, la remontée des taux SRU, la lutte contre le mal logement, et en fonction du parc existant, l’outil permet de prévoir le nombre de logements neufs à construire sur un nombre d’années choisi.
Mais le point clé mis en avant comme l’un des 5 « incontournables » est l’amélioration de la connaissance de la demande. « Il faut retourner une politique du logement guidée par l’offre », affirme le rapport, qui préconise la construction d’un outil d’information numérique basé sur l’observation de la demande à travers les différents sites de commercialisation, en la croisant avec la réalité des transactions effectuées.
Encadrer ou réguler les prix fonciers
L’encadrement des prix du foncer faisait partie des présupposés apportés par le ministre au lancement du CNR Logement. Il est donc examiné par le groupe de travail, qui fait cependant remarquer, que les prix fonciers sont généralement le résultat d’un compte à rebours, à partir des prix de sortie escomptés pour les biens immobiliers. Force est cependant de constater que la désolvabilisation de la demande, provoquée par le niveau élevé des prix des logements neufs à la vente, ne conduit pas à une baisse des prix immobiliers, et encore moins fonciers. Les acteurs interrogés témoignent en ce début avril 2023 d’une poursuite des enchères sur les fonciers.
Le rapport recense donc des mesures destinées à « donner un signal » au marché sur les prix. Le premier outil, est la bien connue réserve foncière. Les EPF la pratiquent évidemment, par exemple l’Epfif autour des futures gares de transport en Île-de-France, en ciblant les terrains susceptibles de muter avec promesse de valorisation. Cette idée fait aussi son chemin avec la mobilisation de moyens par la Banque des Territoires.
Le volet fiscal, longtemps débattu autour du ZAN notamment, fait privilégier la « flat tax » sur les plus-values foncières, quelle que soit la durée de détention, plutôt que la dégressivité ou la progressivité…
La question foncière revient dans la proposition de faire fructifier l’innovation qu’a constitué le BRS. Le rapport parle en ce sens de « faciliter l’accession à la propriété grâce à un usufruit temporaire », dont les formes restent encore à inventer, mais que les rapporteurs appellent de leurs vœux.
Interdiction des enchères publiques, taxe sur l’enrichissement sans cause
L’interdiction des enchères sur le foncier public revient avec ce groupe de travail sur la table du gouvernement, après avoir été poussée par la PPL du député Jean-Luc Lagleize, adoptée à l’Assemblée le 28 novembre 2019 en première lecture, mais jamais venue en séance au Sénat. Faut-il le rappeler ? Cette proposition de loi « visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français » montre que certains problèmes ont la vie dure.
Dans le même esprit, le rapport suggère de privilégier les ventes de gré à gré sur les cessions foncières du stock des EPF pour les programmes majoritairement LLS (LLS, BRS, accession sociale).
L’une des propositions fortes attendue se trouve bien dans le rapport : la taxation de l’enrichissement sans cause, au moyen d’une taxe majorée. Au-delà d’une plus-value considérée comme « raisonnable », la rente perçue par la survalorisation d’un bien serait captée à 100% par la puissance publique.
Le rapport demande donc : « sur décision de l’intercommunalité, et dans des périmètres bien délimités, instaurer une taxe sur la “rente de localisation“ sur des terrains à bâtir, des résidences secondaires et les résidences principales au-delà d’un montant à définir, dans le cas où la valorisation est indéniablement liée à un investissement public de type infrastructure ou parc ou aménité urbaine de nature à améliorer le cadre de vie. … Au-delà d’un certain montant de rente, taxe à 100%. »
Le riche outil du PLU-i pour ouvrir des potentiels à l’échelle urbaine
Le rapport du groupe de travail investit la question urbaine également en traitant en détail des documents réglementaires que sont les PLU.
Dans un esprit de « communication » avec le grand public notamment, le rapport préconise de traduire en 3 dimensions les PLU pour en révéler la constructibilité. L’équivalent, somme toute, d’une bonne faisabilité établie par un architecte. La proposition irait dans le même sens que l’imposition de seuils minimaux de densité, ou l’obligation de respecter les constructibilités maximales fixées par les PLU. Autre demande fortement émergente : que les PLU anticipent la possibilité de réversibilité des bâtiments dans la définition des destinations et sous-destinations. Un point aujourd’hui fréquemment bloquant. Un décret facilitant la transformation de bureaux en logement est en préparation, notent les rapporteurs.
Sur ce thème, le groupe de travail glisse la nécessité d’un nouveau permis de construire autorisant « les bâtiments sans destination », quand, aujourd’hui, la réglementation incendie l’empêche. On retrouve enfin une proposition avancée déjà par la feuille de route de décarbonation de l’acte d’aménager : la possibilité de transmission de la commercialité de mètres carrés de commerces pour favoriser la mutation urbaine, en entrée de ville par exemple.
Un statut du bailleur privé, basé sur l’amortissement, et un nouveau dispositif de défiscalisation
« L’investissement locatif est essentiel pour générer une nouvelle offre de logements abordables, dans le parc neuf comme dans l’ancien », écrit le rapport dans un long développement sur l’un des « points incontournables » des 19 propositions : la « mise à plat de la fiscalité immobilière ».
Le sujet de la fiscalité appliquée à l’investissement locatif a de nouveau fait l’objet de nombreuses contributions à l’occasion du groupe de travail du CNR, plusieurs acteurs souhaitant une refonte du statut juridique et fiscal du bailleur immobilier. L’objectif initial : soutenir la production de logements afin de répondre aux besoins, sans s’en remettre exclusivement aux investisseurs institutionnels, et se substituer au régime fiscal Pinel ainsi qu’à l’ensemble des niches fiscales actuellement mobilisables.
Refondre la fiscalité des revenus fonciers
Une remise à plat de la fiscalité immobilière passerait par la création d’un nouveau « statut du bailleur privé », basé sur l’amortissement, en faisant du propriétaire bailleur un agent économique à part entière, en somme une micro-entreprise.
En pratique, le projet envisage de refondre en profondeur la fiscalité des revenus fonciers applicables aux loyers intermédiaires générés par les locations d’immeubles neufs et anciens. Dans une logique d’adaptation au marché, le niveau d’amortissement serait modulé selon l’effort consenti par le bailleur entre le loyer de marché et le loyer des logements du secteur intermédiaire.
Cependant, note le rapport, ce dispositif ne touche qu’une fraction infime de Français, qui concentrent ainsi la propriété locative privée. A l’inverse, pour les rapporteurs, les dispositifs de défiscalisation ont l’avantage de s’adresser plus largement à un plus grand nombre de particuliers. C’est ce que permet le dispositif Loc’Avantages. Ce dernier pourrait être simplifié, notamment en supprimant l’obligation de conventionner avec l’Anah.
Le sujet reste encore à étudier, de l’aveu du groupe de travail. Cependant, tout dispositif, basé sur l’amortissement ou sur la défiscalisation, devrait être rapporté à son intérêt social, économique et environnemental. Un Pinel Vert ?
Trois copies rendues, une restitution générale attendue
En quatre mois en comptant les fêtes de Noël, le travail a été rondement mené. Le groupe de travail « Redonner du pouvoir d’habiter aux Français » a rendu sa quinzaine de propositions fin février, synthétisées par le maire de Villeurbanne Cédric de Styvendael, avec Serge Contat, directeur général d’Emmaüs Habitat. Voici que, après le groupe de travail « Transition écologique » fin mars, celui qui veut « Réconcilier la France avec l’acte de bâtir » a rendu sa copie début avril.
Aucune communication officielle cependant n’a été organisée, et les propositions des groupes de travail « circulent » sous le manteau, ou bien au gré des déclarations de leurs co-pilotes. On a pu lire dans Batiactu le 31 mars les propositions du groupe de travail « Faire du logement l’avant-garde de la transition écologique » que pilotaient Christine Leconte, présidente du CNOA, avec la députée de l’Isère Marjolaine Meynier-Millefert. Cadre de Ville a pu consulter celles du Groupe de travail que pilotaient Catherine Sabbah, directrice de l’Institut Idheal avec Mickaël Nogal, ex-député de Haute-Garonne devenu directeur de sa société de conseil « Convergences ». Ce groupe de travail à qui l’on demandait de proposer les voies de « Réconcilier les Français avec l’acte de bâtir », préfère à cette dernière expression, celle de « la production de logements nouveaux » – et donc pas forcément en bâtissant…
Une restitution générale des trois groupes de travail est évoquée pour le mois de mai. Sans que l’on sache si elle sera l’occasion pour que le gouvernement annonce des arbitrages. Comme pour la feuille de route de décarbonation de la filière de l’aménagement, les professionnels ont travaillé, nombreux, et livré une foison de possibilités, tant pour relancer un marché du logement proche du krach, que pour intégrer les contraintes climatiques. Il n’y manque maintenant que le portage politique.
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