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CNR Logement : de l’urgence aux réformes structurelles, les prochaines étapes du dispositif gouvernemental

Publié le 15 juin 2023

Les mesures de relance du secteur du logement dévoilées lundi par la Première ministre, lors de la séance de restitution du CNR Logement, sont, pour la plupart, amenées à être précisées, voire enrichies, dans les prochains jours, les prochaines semaines et les prochains mois. Plusieurs échéances importantes vont jalonner ce chemin, de la signature de la convention pluriannuelle avec Action Logement, attendue d’ici quelques jours, à l’élaboration d’un nouveau « pacte de confiance » avec les bailleurs sociaux, qui pourrait être scellé lors du prochain congrès HLM, début octobre, en passant par la préparation de la prochaine loi de finances. Cadre de Ville fait le point sur le calendrier et les modalités de mise en œuvre de ce premier lot de mesures, entre réponse à l’urgence économique et sociale et transformation structurelle de la filière du logement.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

Les mesures destinées à faciliter l’accès des ménages au crédit sont sans doute celles qui auront l’effet le plus immédiat, car elles sont susceptibles de relancer sans délai la demande de logement. Parmi ces dernières, figure notamment la prolongation de la mensualisation du calcul du taux d’usure (le taux maximal qu’un établissement peut proposer à ses clients, qui faisait jusqu’au mois de février l’objet d’une publication trimestrielle). Le gouvernement indique travailler avec le gouverneur de la Banque de France pour prolonger de quelques mois ce mode de calcul.

Le HCSF statuera le 13 juin sur l’assouplissement de l’accès au crédit

Matignon indique également vouloir « assouplir les règles d’octroi de crédit immobilier pour faciliter l’accès au crédit pour les primo-accédants et pour les investissements locatifs », sans donner plus de précisions sur les modalités de cet assouplissement. Le taux d’effort des ménages qui contractent un emprunt immobilier est aujourd’hui limité à 35 % pour une durée maximale d’endettement fixée à 27 ans. Les banques ont une certaine latitude pour déroger à ces critères mais n’utilisent pas toute la souplesse dont elles disposent. Le Haut Conseil de stabilité financière doit statuer le 13 juin sur un éventuel ajustement des règles d’octroi.

Élisabeth Borne a aussi annoncé la prolongation du PTZ (Prêt à taux zéro) jusqu’en 2027. Celle-ci s’effectue au prix d’un « recentrage » ou plutôt d’un resserrement des biens éligibles, puisque le nouveau PTZ sera « ciblé pour l’acquisition d’un logement neuf en zone tendue au sein d’une opération de logements collectifs ou bien pour l’acquisition d’un logement ancien en zone détendue sous condition de réalisation des travaux de rénovation ». Cette mesure est critiquée à double titre, d’une part parce que les maisons individuelles sont exclues du nouveau dispositif et, d’autre part, parce que le PTZ, pour la construction neuve, ne sera plus accessible qu’en zone tendue, 1 100 communes, là où les prix sont les plus élevés.

Le nouveau PTZ et la révision des zonages en débat

Pour Véronique Bédague, coanimatrice du CNR Logement aux côté de Christophe Robert, « il faut bien viser » et cette mesure risque de doucher les désirs de propriété des jeunes et des ménages modestes, qui recouraient au PTZ pour financer la construction d’une maison individuelle en zone très détendue. La présidente-directrice générale de Nexity, qui insiste sur le caractère systémique du logement, où tous les acteurs et chaque maillon du parcours résidentiel sont intimement liés, voit là un trou dans la stratégie du gouvernement. Certes, elle convient que « le développement du logement intermédiaire présente un vrai intérêt, car il constitue un sas utile entre le logement social et l’offre privée » mais elle rappelle dans le même temps que « la maison individuelle construite par des CMIstes coûte 20 à 30 % de moins qu’un logement dans le collectif. La réalité sociologique, pointe-t-elle, c’est que, d’une part, ces maisons individuelles correspondent au rêve d’une partie des Français et que, d’autre part, elles constituent l’accès à la propriété pour les plus modestes ».

C’est un sujet clé, sur lequel Véronique Bédague dit vouloir peser pour faire évoluer la règle, en amont de l’élaboration du projet de loi de Finances pour 2024. « Nous, on va se battre sur tous ces sujets. Je vais continuer à me battre sur l’accession à la propriété, sur l’aménagement du territoire – on ne peut pas dire qu’on n’aide que les zones tendues et que les Français qui vivent ailleurs se débrouillent – et sur le fait d’encourager l’investissement, quel que soit l’opérateur qui investit, y compris les acteurs du logement social. Elisabeth Borne a ouvert la porte puisqu’elle a dit qu’on allait réfléchir à cette fiscalité-là. Les arbitrages du PLF c’est fin juillet et je peux vous dire que Christophe et moi, on va y consacrer du temps, on va se battre pas à pas ».

Rappelons que le développement du logement locatif intermédiaire va s’appuyer sur une « révision flash » des zonages ABC, qui doit intervenir dès cet été pour reclasser 200 communes en zone tendue. Sont notamment concernées les communes en réindustrialisation et les centres anciens, le développement de l’offre intermédiaire s’appuyant en partie sur la réhabilitation des logements anciens. La liste des communes n’est pas encore connue mais certains appellent déjà à aller plus loin, comme le président de Quartus, Emmanuel Launiau : « sur le logement intermédiaire, nous comprenons que la stratégie est de prendre le relais de l’investissement locatif libre. Pour que ce dispositif soit un succès, il faudra élargir le périmètre et l’autoriser seul, y compris dans les communes carencées en logement social », analyse-t-il.

Enfin, le développement du BRS est un autre chantier qui appellera des précisions. Elisabeth Borne a déclaré « l’ouvrir à davantage de Français et en faciliter l’accès aux occupants du parc social ». L’élargissement passera par une révision à la hausse des plafonds de ressources, sans plus de précision pour le moment.

Action Logement se met d’accord avec l’Etat

L’implication des bailleurs sociaux est centrale dans le dispositif de relance imaginé par l’exécutif. Un certain soulagement était d’ailleurs perceptible du côté d’Action Logement après l’annonce lundi après-midi, par Élisabeth Borne, d’un accord sur la convention pluriannuelle qui lie le groupe à l’État. Le matin même, un conseil d’administration exceptionnel avait réuni les représentants du groupe et les commissaires du gouvernement pour valider cette convention tant attendue. La signature officielle doit avoir lieu d’ici quelque jours, seule l’identité du ministre chargé de sceller ce pacte d’engagements réciproques – Olivier Klein, Christophe Béchu ou Élisabeth Borne – demeurant en suspens.

Premier geste de l’exécutif, la Première ministre a annoncé le gel des cotisations FNAP et CGLLS en 2023 et 2024. Cette mesure va permettre aux bailleurs de retrouver des capacités d’investissement mais elle pose, à très court terme, la question de l’avenir du FNAP. La loi de Finances pour 2023 met 537 M€ de crédits à disposition du FNAP, auxquels se s’ajoutent 200 M€ de crédits non consommés des exercices précédents, fléchés en direction de la réhabilitation énergétique du parc social. Mais l’État ne versera aucun crédit au FNAP en 2023 et maintenant que les autres sources ont été coupées – bailleurs sociaux, CGLLS et Action Logement – la question de l’alimentation future du FNAP se pose avec acuité. Certains demandent que les économies réalisées grâce à l’arrêt du Pinel et au recentrage du PTZ, qui devraient représenter près de 2 Md€ en 2024, soient en partie réorientées dans ce sens… Là encore, la réponse sera donnée dans le projet de loi de Finances pour 2024.

Pas de vente à perte pour les promoteurs

Dans ce jeu des contreparties, Action Logement Groupe s’engage de son côté à procéder à l’achat de 30 000 logements auprès des promoteurs, qui viennent s’ajouter aux 17 000 logements en cours de rachat par CDC Habitat, une première mesure d’urgence qui avait été annoncée par Élisabeth Borne fin avril. Ces opérations, précise le gouvernement, ciblent « en priorité des acquisitions de programmes de logements intermédiaires et sociaux en Vefa, en cours de montage, voire en cours de chantier ».

Le premier plan de rachat orchestré par CDC Habitat « avance bien » a indiqué la Première ministre mais le son de cloche n’est pas le même du côté des promoteurs qui se demandent à quelle sauce et surtout « à quel prix » ils vont être mangés :  » c’est un vrai sujet, car les bailleurs ont aussi subi une forte hausse de leurs conditions de financement. Je ne peux pas vendre à perte, je ne lancerai pas les chantiers dans ce cas », avertit Véronique Bédague.

Autre mesure phare annoncée par la Première ministre, le nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, caution locative accordée par Action Logement, doit augmenter de 133 % sur la période 2023-2027 pour atteindre 2 millions de jeunes et de salariés. Cette hausse importante intègre la dynamique naturelle de déploiement du dispositif, en forte croissance depuis sa création en 2016 – le cap des 700 000 ménages logés avec Visale, franchi en mai 2022, avait précédé de quelques mois seulement un nouveau record, atteint en octobre 2022 avec 820 000 ménages – mais comprendra aussi l’intégration de nouveaux publics. Le gouvernement et Action Logement se sont engagés à « étudier rapidement l’extension de cette garantie à tous les salariés saisonniers ainsi qu’aux indépendants ».

Un nouveau « pacte de confiance » en préparation avec le mouvement HLM

Par ailleurs, le gouvernement travaille à nouer un nouveau « pacte de confiance » avec les bailleurs sociaux. Un exercice délicat, tant le fossé s’est creusé depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron entre l’État et les acteurs du logement social. Mardi après-midi, Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre et co-animateur du CNR au côté de Véronique Bédague, qui se prêtait lui aussi au débriefing post-CNR, faisait part d’un « gros sujet d’inquiétude » : « le logement social est à nouveau absent de la relance. Il y a une ponction de 1,3 Md€ par an qui est faite sur les bailleurs sociaux, plus une TVA qui est montée de 5,5% à 10% sans parler de l’augmentation du taux de Livret A qui pénalise la capacité de produire et de rénover. Des mesures ont été annoncées pour encourager la rénovation, mais pour la production, on est dans une dégringolade très inquiétante ».

Les mesures annoncées par le gouvernement visent justement à redonner des marges de manœuvre financières aux bailleurs. Il s’agit de renforcer leurs fonds propres mais aussi d’améliorer leurs conditions d’emprunt, « en bonifiant les prêts et en allongeant les maturités » comme l’a précisé la Première ministre. La Caisse des Dépôts et Consignations sera une fois de plus mise à contribution pour apporter les solutions de financement adaptées.

Par ailleurs, d’autres mesures doivent être précisées. Après une phase d’expérimentation concluante, le gouvernement a annoncé la pérennisation en 2024 du dispositif dit « de seconde vie », qui permet d’accompagner financièrement les rénovations lourdes. ainsi que la mise sur la table d’une enveloppe spécifique dédiée à la rénovation énergétique du parc existant.

Les montants consacrés à ces deux dispositifs ne sont pas encore connus. Ils seront au menu des discussions qui sont sur le point de s’engager entre l’État et les bailleurs. La Première ministre a annoncé qu’elle réunirait, dans les prochaines semaines, les ministres concernés, les principaux acteurs du logement social et la CDC pour définir le contenu, les modalités et les contreparties de ce nouveau « pacte de confiance ». L’objectif est d’aboutir à une signature lors du prochain congrès HLM, qui se tiendra à Nantes, du 3 au 5 octobre 2023.

Début du chantier sur le foncier public et la fiscalité locative

Enfin, plusieurs autres chantiers vont se poursuivre dans les prochains mois. C’est notamment le cas sur le sujet central du foncier, qui avait été évoqué en ouverture du CNR Logement par Olivier Klein, qui se disait favorable à un encadrement des prix, mais qui n’a pas débouché sur des mesures concrètes à l’issue de ce premier « point d’étape ». Pour Christophe Robert, cette absence de tentative de régulation des marchés est même « une curiosité » : « rarement il y a eu un consensus comme celui que nous venons de connaître avec tous les acteurs du CNR sur la nécessité d’encadrer le prix des fonciers », évoque-t-il. Le dossier, pour autant, n’est pas clos et la question du foncier public, véritable serpent de mer, est à nouveau sur la table. Le gouvernement dit vouloir « accélérer la transformation du foncier de l’Etat et de ses opérateurs en faisant notamment évoluer les règles des Domaines pour contribuer à la modération des prix ».

Un autre chantier de long terme s’ouvre sur un terrain glissant, celui de la refonte de la fiscalité locative. Il vise à rendre cette dernière « plus simple, plus lisible, plus juste », et à favoriser le développement d’une « offre locative de qualité », privilégiant les locations de longue durée. Le système, rappelle le gouvernement, est « complexe, assis sur la base d’une distinction entre activités civiles et commerciales qui lie la fiscalité au statut meublé ou non du bien, de manière peu opportune ». La réforme, menée en concertation avec toutes les parties prenantes, doit tenir compte des situations existantes, « pour ne pas modifier ou pénaliser les investissements déjà consentis ».

Un CNR à suivre…

On le voit, beaucoup de questions demeurent en suspens et des discussions décisives, avec les bailleurs ou au Parlement, vont s’ouvrir dans les prochaines semaines pour affiner les contours du dispositif présenté par le gouvernement. Les animateurs et participants au CNR Logement n’ont d’ailleurs aucune intention de lâcher prise. « Le ministre du Logement souhaite que les groupes qui se sont constitués ou les acteurs qui ont été mobilisés autour de ce CNR suivent la mise en œuvre des propositions, qu’ils creusent les sujets qui méritent d’être creusés, révèle Christophe Robert. Nous allons donc continuer, soit collectivement, soit individuellement, à mener le travail avec les collectivités locales et avec les parlementaires, car nous voyons beaucoup d’élus qui nous disent que le logement est le sujet central et qu’ils ont envie d’agir. C’est maintenant que ça se joue, très vite, avec le passage PLF. Nous allons voir comment nous organiser, mais il y aura une suite c’est sûr. Nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état ».

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