La table-ronde d’ouverture des Entretiens du Cadre de Ville, le 17 octobre prochain, à la CCI Paris Île-de-France, va s’interroger sur le nouveau cahier des charges de la fabrique urbaine, pour intégrer les enjeux d’atténuation des impacts sur le climat, et l’adaptation. Comment envisagez-vous cette question ?
La première question est de savoir qui tient le stylo pour écrire ce cahier des charges. La planification urbaine est souvent conçue de façon descendante. Comment peut-on passer à une logique partie du terrain ? Et notamment lorsqu’il s’agit d’élaborer le cahier des charges des projets opérationnels ?
Parmi les attendus à prendre en compte, l’atténuation de l’impact des activités humaines sur le changement climatique est une mission historique de l’Ademe, qui connaît une forte montée en puissance sur l’objectif de décarbonation de l’industrie. Cet objectif mobilise désormais les deux-tiers de notre budget, avec 50 sites prioritaires – qui représentent 55% des émissions de l’industrie française.
Depuis trois ans, nous déployons des approches d’écologie industrielle territoriale, qui nous font intervenir à l’échelle de grandes zones industrielles pour regarder notamment la question des réseaux, et dépasser une approche « site industriel par site industriel » pour soutenir des infrastructures mutualisées. Ainsi nous soutenons la décarbonation de l’industrie à l’échelle de Dunkerque et du Dunkerquois, de Fos-sur-Mer, de l’ensemble Seine-Le Havre, de Saint-Nazaire, et, bientôt d’autres zones industrielles. Le conseil national de l’industrie du 23 juin a apporté de nouveaux financements dans cet objectif.
Le budget de l’Ademe a été multiplié par quatre depuis 2021. De 1 milliard en 2021, il est passé à 2,5 milliards en 2022, puis 4,2 milliards cette année avec la montée en puissance de France 2030. Il faut dire qu’une dizaine de très gros projets pourraient représenter près de 2 milliards d’aides.Il a fallu convaincre que l’échelle de toute une zone était plus pertinente que celle d’un site, pour apporter des solutions pérennes et plus efficientes, y compris en termes d’investissement. Il faut pouvoir regarder par exemple les capacités en chaleur fatale et toutes les ressources à grande échelle. Et il est vrai qu’il faut beaucoup d’études préalables, de renforcement de réseaux électriques ou de réseau de chaleur par exemple, avant d’engager les investissements. Ca prend un peu de temps au démarrage mais ce sera in fine beaucoup plus efficients.
Comment associez-vous la préoccupation de l’adaptation au changement climatique à cette approche de réduction massive des émissions de gaz à effet de serre ?
L’adaptation de la ville au changement climatique ne nécessite pas forcément une pareille approche par « fonds », mais plutôt un outillage qui s’adapte à la réalité du terrain. Par exemple des outils pour le rafraîchissement des villes comme la méthodologie plus générale proposée par la démarche « TACCT », des trajectoires pour l’adaptation au changement climatique des territoires (site dédié : https://territoireengagetransitionecologique.ademe.fr/adapter-son-territoire-au-changement-climatique-exemples-dactions/), qui va être déclinée sur la cible entreprises.
Les méthodes et les outils vont irriguer, car c’est le grand chantier du siècle. Un sujet comme le gonflement des argiles prend une ampleur de plus en plus grande, et fait l’objet d’un appel à projets France 2030, pour trouver des pistes d’innovation.
Dans le domaine de l’urbain, des méthodes permettent d’apprécier le bilan carbone à l’échelle de quartiers. L’Ademe travaille avec l’Anru sur les quartiers de la politique de la ville, avec ses deux fonds, chaleur renouvelable et économie circulaire, sollicités notamment pour le programme quartiers résilients.
La prochaine programmation pluri-annuelle de l’énergie (PPE) devrait stabiliser ce fonds chaleur renouvelable – le meilleur outil en termes d’efficience avec seulement 7 euros publics par MWh d’énergie renouvelable produite. Ce fonds devrait connaitre une trajectoire croissante dans les années à venir pour tenir les objectifs de chaleur renouvelable de la PPE.
Ainsi, un axe fort sur la géothermie a pu être présenté lors du Congrès des Maires 2022. L’Ademe est chargée de l’animation et du suivi de ce plan, en intégrant le sujet du froid produit par des réseaux conçus pour l’aménagement urbain bas carbone.
Les montants vont s’ajuster entre l’automne et la fin de l’année, au travers de l’élaboration de la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), puis de la Stratégie française pour l’énergie et le climat, et enfin de la PPE. Ces actions vont monter en puissance.
L’un des axes de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique passe par le sol, le ZAN et donc la reconquête des fonciers déjà artificialisés. Quel rôle va jouer l’Ademe ?
L’Ademe assure sur la question des friches une mission consolidée et renforcée. Historiquement, l’agence portait la mission régalienne d’intervention sur les sites industriels orphelins pollués, dont une liste est établie chaque année, avec l’objectif d’abord de leur mise en sécurité. Au plan de relance de 2020 s’est ajouté une partie du fonds friches, portant sur les sites industriels.
L’Ademe est le bras armé financier de la sobriété foncière de ce point de vue, en parallèle de la trajectoire ZAN. L’Ademe gère ainsi 30 millions par an issus du fonds vert, pour accompagner la réindustrialisation.Des outils comme Bénéfriche, très astucieux, permettent de faire le bilan économique complet d’un projet d’aménagement en intégrant les externalités positives.
L’un des enjeux relevés par le programme des Entretiens du Cadre de Ville est celui des mobilités. Quelle est l’intervention de l’Ademe sur le sujet ?
L’Ademe intervient de multiples façons. Des fonds peuvent être attribués via des programmes Certificats d’économie d’énergie (CEE). Notamment, l’Ademe porte le programme CEE Avelo dont l’édition sur 2021-2024 a soutenu plus de 400 territoires peu denses et péri-urbains dans la planification, l’expérimentation, l’évaluation et l’animation de politiques cyclables. Le volet Avelo 3, doté de 30 millions d’euros, va être lancé pour soutenir 350 nouvelles collectivités moyennement denses, le but étant que 100% du territoire national soit couvert en 2030.
Dans le domaine de la logistique, nous portons un important appel à projets sur les poids lourds électriques, ainsi qu’un programme CEE sur la logistique, InTerLUD (Innovations territoriales et logistique urbaine durable), et un sur le ferroviaire innovant avec France 2030.
Sur le plan des déplacements individuels, nous travaillons sur ce qu’on peut appeler une pépite, pour relever un défi extrême et créer une filière industrielle de véhicules intermédiaires, des véhicules entre le gros vélo cargo et de petites voitures électriques. Cela peut-être une réponse pour la logistique du dernier kilomètre et pour plus de la moitié des déplacements du quotidien. Aujourd’hui nous accompagnons une quarantaine d’équipes d’innovateurs qui ont développé des concepts de véhicules arrivés à différents niveaux de maturité.
Il s’agit d’inventer des véhicules comme l’AMI de Citroën 100% électrique sans permis – mais qui est fabriquée au Maroc. Nous cherchons des solutions françaises pour des véhicules avec un prix de vente inférieur à 10 000 euros. Le territoire français compte de nombreux sous-traitants de l’automobile, adaptables à une nouvelle production de pièces pour ces véhicules, et on pourrait s’appuyer sur les garagistes, dont le métier change avec l’arrivée de l’électrique, pour faire des garages des lieux d’assemblage de ces véhicules. Ils constitueraient un réseau de production distribuée. Nous avons une approche de communs entre industriels sur ce sujet, pour certaines briques technologiques clés comme les châssis et les batteries, pour faire baisser les coûts plus vite.
Le fonds d’amorçage de cette piste de solution mobilise 15 millions d’euros de France 2030.
Enfin, si on parle mobilités, on touche à la qualité de l’air, là aussi une mission historique de l’Ademe. Nous finançons aujourd’hui des flottes de bus électriques et des schémas de déplacements, des remplacements de cheminées par des installations performantes, des feuilles de route qualité de l’air construites avec les métropoles concernés par les ZFE et de la communication auprès des citoyens. Ce sujet qui est devenu très politique a encore besoin de beaucoup de pédagogie pour avancer concrètement.
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