L’analyse fine des besoins, de la diversité des ressources de production locale, et la projection des investissements dans le temps, le conseil, l’accompagnement, sont devenus un des vecteurs de l’intervention d’EDF dans la ville, explique à Cadre de Ville Guillaume Flachat, qui dirige l’action régionale du Groupe, en amont des Entretiens annuels du Cadre de Ville du 17 octobre, que soutient EDF.
EDF est partenaire d’une édition des Entretiens du Cadre de Ville qui met l’accent cette année sur les nouvelles pratiques de l’acte d’aménager « pour de nouveaux territoires », notamment au regard des enjeux climatiques. EDF, premier producteur d’énergie français, joue son rôle dans ce mouvement, dans des directions nouvelles, et parfois inattendues, qui mettent en jeu une forte capacité à penser et à piloter de l’innovation : travail avec une agence d’urbanisme en amont des projets urbains, pilotage de Response à Dijon, innovation au village des athlètes des JOP 2024… Voici de nouveaux terrains pour une société qui conserve – évidemment – un cœur de métier de fournisseur d’énergie sur lequel EDF devra relever d’autres défis.
EDF présentera notamment, lors des Entretiens du Cadre de Ville, l’approche développée à Mulhouse, dans le quartier DMC avec un jumeau numérique, « qui est une autre façon d’intervenir en amont, pour se donner les conditions collectives scénarisées de l’évolution d’un quartier, de simuler ce qu’il sera selon les scénarios retenus », commente Guillaume Flachat, pour qui cela fait partie de la gamme des solutions qu’EDF apporte à un projet de territoire. Analyses et tour d’horizon en compagnie de Valérie Montanier, responsable des projets Aménagement & Urbanisme et des partenariats associés.
Quelle est votre analyse des mouvements en cours dans la répartition des rôles dans la fabrique de la ville, et dans les défis que doivent relever les acteurs de l’aménagement ?
Nous constatons que l’énergie est remontée très en amont dans les démarches d’aménagement, beaucoup plus que ce n’était le cas, certes parce que l’évidence du changement climatique s’impose, mais aussi parce qu’une deuxième question monte maintenant très fortement, celle de l’adaptation à ce changement climatique. Il suffit aujourd’hui d’ouvrir n’importe quelle source d’information sur les projets des territoires pour voir que ce sujet s’est hyper centralisé depuis quelques mois, et pas uniquement parce que c’est l’été. La question est remontée très en amont dans la conduite des projets de territoires, et les parties prenantes concernées se sont aussi saisies du sujet, ce qui n’était pas le cas jusque-là. C’est aujourd’hui un sujet porté par par les collectivités locales en direct, et c’est un sujet porté par les professionnels.
L’élaboration de la feuille de route de décarbonation de l’acte d’aménager l’a bien montré, c’est clairement devenu un point d’entrée dans tout le projet. Et puis c’est aussi un sujet qui est remonté au niveau des citoyens, des habitants, des futurs habitants, des riverains, qui aussi maintenant prennent la parole, et pas forcément que la parole. Ils peuvent avoir un rôle actif sur des financements ou sur des choix de solutions.
Ce sujet s’impose selon 2 axes : réduction des impacts et adaptation. Il est monté en chronologie et il s’est diversifié en termes de parties prenantes. Donc nous, en tant qu’énergéticien travaillant sur ces sujets-là depuis longtemps – depuis toujours, même, on peut le dire, même si évidemment les sujets ont beaucoup évolué – on a toujours à apprendre et à construire, mais ce serait de la folie de ne pas considérer ou de ne pas comprendre que l’environnement a changé, et que nous sommes aussi concernés.
Cela signifie être plus en amont, et beaucoup écouter, pour prendre en compte le fait que des interlocuteurs, des parties prenantes légitimes se saisissent de ces sujets-là avec compétence aussi. Nous sommes donc un acteur parmi d’autres. Et s’il y a un changement fondamental dans notre positionnement, c’est d’avoir compris qu’on ne fera jamais tout seul, on ne fera jamais avec notre expertise seule, quelle que soit sa qualité, qu’elle peut toujours être enrichie par l’expertise des autres.
Dans tous les cas, les solutions sont de plus en plus globales, au sens systémique, comme nous l’avons expérimenté dans un partenariat en cours dans l’Ouest de la France. On voit bien que les sujets qu’on adresse, lorsqu’on parle de scénario énergétique, sont multiples, à la fois dans l’espace, dans le temps et dans la nature des acteurs concernés, entre un industriel, une ressource de biomasse, du photovoltaïque, des bailleurs sociaux, par exemple. Mais on le voit aussi, pour prendre un autre exemple, lorsqu’on travaille sur des projets de thalassothermie, structurellement ancrés dans leur territoire, et donc limités à certains lieux. Pour autant, si on ne commence pas, très en amont des projets d’aménagement ou de rénovation, à intégrer l’hypothèse de la thalassothermie, on n’y aura jamais recours, parce que les conditions de développement d’un réseau de ce type se construisent très en amont d’un projet. Le temps de concrétisation est très long, à l’échelle de ce qu’est le temps de l’aménagement.
En plus, ce type de solution d’interaction avec le territoire a une valeur collective. qui se traduit dans le sentiment de fierté des acteurs et des populations, comme à Marseille ou à la Seyne-sur-Mer, d’aller chercher des calories dans la mer, ce qui est une façon de faire bouger la frontière naturelle du littoral, et pas seulement du point de vue de l’érosion du trait de côte. Cela a un sens particulier ici, pour un projet d’aménagement d’intégrer une solution comme la thalassothermie. Ce lien avec les ressources du territoire se retrouve dans d’autres types de solutions… Cela peut être une brique d’une approche collective.
Vous venez de parler d’adaptation au changement climatique, et de décarbonation. Quel rôle va jouer EDF dans la trajectoire qui vise à renforcer la réduction des émissions à l’horizon 2030 à moins 55% ?
La question, évidemment, est vaste, et n’est pas simple. Je l’ai dit, nous sommes un acteur parmi d’autres dans dans les démarches d’aménager, mais dans ce domaine-là nous jouons un rôle particulier dans la décarbonation.
Je le redis, on voit que la problématique énergie s’est encore renforcée, et a pris plus de place qu’il y a dix ou vingt ans. Ses enjeux sont intégrés dès l’amont des projets d’aménagement. Ce n’est plus la question qu’on se pose à la fin, et elle implique maintenant toutes les parties prenantes.
Nous contribuons à cette évolution d’abord par une compréhension du besoin des aménageurs ou des collectivités concernées par les aménagements. Notre première contribution, c’est d’écouter. Dans un projet de territoire, quel est le besoin énergétique projeté, et comment répondre à ce besoin dans la durée à l’horizon de plusieurs dizaines d’années ? Il faut aussi interroger le besoin en posant, avant la décarbonation, la question de la sobriété, de la maîtrise de la consommation. Ensuite, on peut se demander comment répondre au besoin tel qu’il a été projeté. Nous avons testé cette démarche amont dans un projet d’aménagement de quartier sur 80 hectares, dans l’ouest de la France, par un travail mené avec l’agence d’urbanisme locale.
Avec des équipements existants, le projet portait la volonté de densifier et de modifier une partie des usages de ce territoire, ce qui posait la question des scénarios énergétiques que l’on pouvait construire. Nous avons travaillé avec l’agence d’urbanisme, d’abord sur l’identification des besoins énergétiques en fonction des usages projetés, en matière de logement, de tertiaire, et en maintien d’usages existants, pour préfigurer le besoin d’énergie généré par cet aménagement. Ensuite, on a regardé quelles énergies étaient disponibles sur le territoire, quel était le potentiel de production d’énergies renouvelables, et de quel type. Ici, dans un territoire urbain, on était plus sur le photovoltaïque que sur l’éolien. On pouvait se poser la question de la biomasse, et puis aussi de l’énergie de récupération de la chaleur fatale de quelques sites industriels à proximité.
La troisième étape a consisté à dessiner des scénarios d’adéquation entre les besoins et les ressources, avec plusieurs approches. Il y a une dimension technique, bien sûr, mais les scénarios peuvent être très différents, selon qu’on décide ou pas de maximiser le photovoltaïque, selon la part d’autoconsommation collective, la création ou pas de centrales de production, et le degré de recours ou pas à la valorisation de la chaleur fatale d’un ou plusieurs sites industriels, dont la pérennité doit être interrogée. Chaque scénario est évalué en termes de coût d’investissement, de coût de fonctionnement, et en termes de carbone, bien sûr.
Allez-vous jusqu’à pouvoir chiffrer le coût de la tonne carbone, ou à intégrer dans un modèle la valeur de la tonne carbone évitée ?
Non, on en reste à l’étage du dessus, si je puis dire, c’est-à-dire à à l’évaluation de la tonne de carbone produite et / ou de la tonne de carbone évitée selon les scénarios, mais pas jusqu’à une évaluation économique.
Notre rôle à ce stade-là, est de donner une analyse, une vision à challenger. En l’occurrence, l’agence d’urbanisme d’ailleurs l’a fait. Elle a les compétences pour réinterroger, écarter, réorienter certains scénarios dès la phase amont.
Ce moment de dialogue dans cette phase de diagnostic permet à l’agence d’urbanisme, avec ses commanditaires, de prendre des décisions pour la mise en œuvre. Notre rôle aura été d’éclairer le projet d’aménagement.
Demain, après-demain, selon les choix retenus, nous pourrons intervenir plus dans les cœurs de métiers du groupe EDF, en candidatant à des marchés publics, ou privés dans un projet comme celui-là. Evidemment, nous sommes un fournisseur d’énergie bas carbone, que ce soit à travers des solutions électriques, ou de chaleur bas carbone, ou d’autres types comme l’hydrogène – ce qui n’est pas le cas dans le projet dont je parle. Nos métiers nous conduisent à intervenir aussi plus tard dans le processus, dans les solutions bas carbone que nous mettons à disposition des aménageurs.
Est-ce que que la projection de scénarios énergétiques pour ce projet d’aménagement vous a conduit à recourir à la data pour aider à la décision ? Vous allez notamment présenter un jumeau numérique utilisé à Mulhouse, lors des Entretiens du Cadre de Ville.
La data devient un outil incontournable. Nous avons développé des outils de modélisation, pour pouvoir projeter ces scénarios. Nous l’avons fait à partir de savoir-faire ou de compétences développées par nos services de recherche et développement, d’agrégation de données, et de courbes de charge. EDF utilise beaucoup de données publiques et les données dont nous sommes propriétaires , construites au fil du temps. Elles nous permettent par exemple, de modéliser une consommation en fonction d’usages standardisés sur une zone dont on connaît précisément quels sont les usages projetés.
Tant sur la question de la consommation que sur l’évaluation du potentiel d’énergie renouvelable, on va croiser nos données avec celles des territoires, des données de SIG, pour travailler sur les profils de consommation et les capacités de production.
La place des énergéticiens est donc en train d’évoluer vers l’amont des projets urbains, vous venez d’en donner des exemples. Peut-on dire que c’est le cas d’EDF au village Olympique des athlètes des JOP 2024 ?
Le cas du village Olympique est particulier. Je vais laisser Valérie Montanier en parler, et on pourrait le comparer à des projets comme Response à Dijon, où nous intervenons très en amont, dans des sujets très techniques axés sur l’innovation technologique autant que du modèle de développement. Mais ce n’est pas le cas général. Nous voulons modifier notre rôle dans la remontée vers l’amont, parce que l’énergie est montée de plusieurs crans dans la chronologie des démarches d’aménagement. Cela ne modifiera pas fondamentalement nos activités. Nous n’allons pas devenir, comme d’autres ont pu le faire, aménageur ou promoteur partie prenante.
En revanche, sur certains sujets comme les JOP ou des programmes européens comme celui de Dijon, on peut apporter de l’innovation intégrée. La demande de l’aménageur du territoire, le besoin du projet, font que, dans certains cas, nous pouvons apporter notre capacité technique à chercher de nouvelles solutions et expérimenter de nouvelles façons de faire, parce que c’est une contribution au projet énergétique. C’est vrai aussi dans le domaine de l’industrie. Nous avons développé une R&D puissante pour nos besoins, mais aussi pour faire avancer ces sujets avec nos clients, avec les territoires.
Valérie Montanier – EDF est dans le groupement lauréat du lot E du village des athlètes des JOP 2024, et a aussi été lauréat pour deux innovations financées par Paris 2024 : le pilotage de la puissance électrique, et la qualité de l’air intérieur. Nous déployons du photovoltaïque en toiture, l’autoconsommation, et ensuite le confort des espaces extérieurs – on parle bien de la lutte contre les îlots de chaleur. Et nous allons installer des bornes intelligentes, qui vont permettre de se recharger quand il y a moins de tension sur le réseau. EDF apporte son expertise technique dans le groupement avec Nexity, Eiffage, CDC Habitat et Groupama.
Pour rebondir sur ce que vous venez de dire, quelle est la dimension spécifique d’application de cette démarche très en amont dans l’existant, puisqu’on dit beaucoup que c’est la nouvelle frontière ?
Guillaume Flachat – Oui, c’est plus compliqué que de partir du neuf, mais on retrouve la même dimension, même si le challenge est sans doute plus fort. Le fait de travailler dès le début avec l’ensemble des acteurs est encore plus prégnant, parce que pour le coup, les habitants sont là. Les utilisateurs de la ville sont là, quelle que soit leur activité. Ils sont encore plus impliqués dans le fait qu’on modifie leur cadre de vie ou qu’on le rénove. Les solutions techniques, elles, sont moins ouvertes structurellement aussi, et, pour certaines d’entre elles, les orientations prises peuvent être encore plus structurantes et plus compliquées à mettre en œuvre. Elles supposent donc à la fois une réflexion technique, une estimation, une amplification de l’effet des des solutions retenues, réflexion qui doit être travaillée très finement, très en amont.
Tous les critères qu’on a pu évoquer pour le neuf, on les retrouve, je dirais renforcés dans une démarche de rénovation. Mais ces projets de rénovation ne peuvent plus se faire sans qu’on ait intégré la question de de l’énergie, depuis le début, y compris l’aspect mobilité d’ailleurs, la mobilité décarbonée bien sûr.
Les obligations de rénovation thermique des logements posent la question du déploiement des réseaux de chaleur, et de rafraîchissement d’ailleurs, bas carbone. C’est un sujet que nous intégrons et sur lequel il y a encore beaucoup de challenges aussi. Pour réussir à avoir la bonne réponse au bon moment, parfois il faut un peu de temps, même s’il faut le faire, et le plus rapidement possible.
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