La loi Copropriétés dégradées est un premier pas vers un nouveau volet du renouvellement urbain, explique Mathieu Hanotin, qui en fut l’inspirateur avec Michèle Lutz, la maire de Mulhouse, en rendant un rapport de préconisation à l’éphémère ministre du Logement Patrice Vergriete – toujours pas confirmé dans ses fonctions, en ce jour anniversaire de l’Anru. C’est le ministre compétent pour le logement et la politique de la ville, Christophe Béchu, qui a conclu la journée ouverte par le président de Plaine Commune.
La loi SRU, un des piliers de la reconstitution de l’offre sociale
Le maire de Saint-Denis, président du territoire de Plaine Commune, accueillait ce 8 février 2024 à Aubervilliers le colloque de l’Anru « Penser les quartiers de demain », en ce jour anniversaire de la création de l’Agence nationale de la rénovation urbaine. « La loi va permettre de sortir de quelques grandes déclarations d’intentions et donner plus de moyens d’agir aux collectivités et revoir nos règles, mais il faudra encore dix ou quinze ans d’intervention publique pour restaurer la qualité de vie dans les quartiers de la politique de la ville », analyse-t-il, en saluant la mission de préfiguration de l’Anru 3 confiée à Cédric Van Stywendaël, maire de Villeurbanne. avec Jean-Martin Delorme, CGEDD, et Anne-Claire Mialot, directrice générale de l’Anru. « Je ne vois pas d’autre acteur que l’Anru (aux côtés de l’Anah) pour mener cette action », commentait Mathieu Hanotin, avant d’exprimer une inquiétude devant les remises en cause de la loi SRU, pointant le risque de blocage des mécanismes du renouvellement des quartiers. Valérie Létard a pu s’en faire fortement l’écho dans la journée, comme d’autres.
Pour Mathieu Hanotin, « la loi SRU a été conçue pour organiser un rééquilibrage de la charge du logement social – Saint-Denis en compte 52% de son parc. Elle est ainsi liée à l’Anru, pour permettre la recomposition de l’offre sociale à l’échelle des agglomérations sans exclusive. Si on l’abandonne, on continuera à organiser un séparatisme social à l’échelle de nos bassins de vie. »
Un effet de la nouvelle offre non sociale de logements dans les quartiers
La question de la mixité sociale dans les QPV a traversé le colloque de l’Anru, de même que celle de l’adaptation au changement climatique. La mixité sociale ne tient pas seulement à la typologie du logement, ont rappelé les intervenants de la journée. Les espaces publics, équipements, commerces, les écoles, sont des facteurs forts d’intégration d’une diversité sociale. Si le sociologue Renaud Epstein pouvait affirmer fortement que « la mixité sociale passe d’abord par l’école », l’adjointe au maire de Saint-Denis, vice-présidente de Plaine Commune Katy Bontinck, nous glissait dans la salle : « Si on ne modifie pas d’abord le peuplement des quartiers, la carte scolaire étant sectorisée, les enfants de familles défavorisées resteront toujours ensemble… »
Mais modifier le peuplement des quartiers, si le sujet n’est plus tabou, ne va pas de soi. La mixité sociale « par le haut » a progressé dans les quartiers, au point de devenir un sujet de thèse, dont les grandes lignes ont été présentées. Locatif libre et accession libre en zone Anru ont apporté des populations non éligibles au logement social. Une augmentation des prix du logement est sensible dans les quartiers où les promoteurs ont développé des projets privés. Cependant, note le chercheur, leur intégration au quartier est très variable. Une fraction des nouveaux habitants parvient à y trouver une place, cependant qu’à l’opposé, une fraction vit coupée du quartier, pendant qu’une tranche médiane choisit « à la carte » de s’ouvrir au quartier – pour un commerce, des jeux d’enfants… (cf. étude de Maximilien Steindorsson sur les quartiers Malakoff à Nantes, Kervénanec à Lorient, et Les Sablons au Mans)
Réduction de 5% de la part des ménages les plus pauvres
L’impact de 20 ans d’investissement par la puissance publique dans les QPV ressort également de l’étude livrée à la veille de l’anniversaire par France Stratégie. D’abord, en relativisant la vision figée d’une population « assignée à résidence ». « La moitié des ménages sont là depuis moins de cinq ans », indique Nina Guyon, auteur de l’étude, qui annonce « la baisse de 5 points la part des foyers du premier décile. Ce sont des évolutions que l’on voit habituellement sur cinquante ans ! » Et d’analyser : « L’Etat et les partenaires sociaux, les bailleurs et les collectivités ont investi énormément d’argent sur 20 ans. Là où on a investi le plus, c’est là où on a démoli le plus, et reconstruit le plus, et où la part des ménages les plus pauvres a diminué – et cela se retrouve dans la population scolaire. »
Une intégration à l’échelle des agglomérations
Les avancées urbaines et sociales mises en évidence interrogent sur l’échelle pertinente d’intervention pour l’avenir. En effet, le zonage des « quartiers », objets de procédures exceptionnelles semble dépassé à entendre Anne-Claire Mialot. « Le renouvellement urbain c’est désormais une méthode, pour des projets cousus main car aucun quartier ne se ressemble ». Et dont les enjeux sont ceux de l’intercommunalité : « Le renouvellement urbain est un des outils qui doit permettre de construire du logement social dans les quartiers aisés des agglomérations et proposer une diversité d’habitat dans les quartiers politiques de la ville. Ne perdons jamais de vue que lâcher la lutte contre la ségrégation sociale, c’est accepter de vivre côte à côte et peut-être demain face à face. »
De fait, « est-ce que la question de la mixité et de la diversité sociale ne va pas se poser plutôt à l’échelle des agglomérations ? », interroge Marie-Christine Jaillet, du laboratoire Lisst Cieu du CNRS. Valérie Létard ne dit pas autre chose. L’ancienne ministre et sénatrice, aujourd’hui conseillère départementale du Nord, « le NPNRU a apporté la dimension intercommunale et renforcé la capacité d’intervention ». « Nous avons essuyé les plâtres avec le PRU, certes et alors limité la réflexion sur le peuplement aux seuls quartiers. Un premier choc a permis de penser la deuxième génération de projets avec l’outil des PNRQAD, dont il faut aussi s’inspirer pour la suite, Il y a, ans la ville existante, des poches d’habitat dégradé et de pauvreté. »
En projetant le volet Anru 3 à l’échelle des intercommunalités, « il faudra travailler dans a dentelle », estime l’élue, qui précise « demain il faudra des moyens nouveaux, du fait que l’exigence qualitative est très élevée, mais toujours dans une visibilité pluriannuelle ». De même que les remises en cause de la loi SRU que constitue l’intégration du logement intermédiaire dans le logement social, la délégation des premières attributions de logements sociaux inquiète, et l’actuele crise du logement, qui « grippe » la machine du logement.
La marche vers le droit commun
Le passage à l’échelle intercommunale semble avoir provoqué un déclic vers une intégration des secteurs Anru dans une stratégie générale à l’échelle des agglomérations. C’est à cette grande échelle que l’on peut, non seulement évoquer la diversité sociale, mais aussi « s’inquiéter de nouvelles formes urbaines et de nouveaux espaces »… Valérie Létard détaille : « Le NPNRU a permis de traiter la question de l’humain et du peuplement à une autre échelle. On parvient à reloger 88% des populations hors QPV, grâce aux PLH, aux commissions intercommunales d’attribution et d’agir beaucoup plus sur les espaces publics et les données environnementales, ainsi que sur l’économique. »
A entendre un Nicolas Binet, qui dirigea des années le GIP Politique de la Ville des 14 quartiers de Marseille, ou Magali Volkwein, présidente de l’agence D&A, localement l’Anru a changé les pratiques, y compris dans d’autres domaines, de l’urbanisme et sur de nouveaux objets. « A Clermont-Ferrand, quartier Saint-Jacques témoigne l’architecte, après que le bailleur a démoli la longue barre de 500 logements de la Muraille de Chine, c’est la métropole qui a aménagé à sa place un ‘haut-lieu métropolitain’ dans un grand parc ouvrant la vue sur les volcans. » Peu à peu les quartiers rentrent dans le droit commun, et « les quartiers auront été le laboratoire pour penser la ville ordinaire du 21e siècle ».
Christophe Béchu, dont le directeur de cabinet, Philippe Van de Maele, a été le premier directeur de l’Anru en 2004 – en déplacement dans le Pas-de-Calais, il avait enregistré un message, annonçant la mise en place d’une mission de préfiguration de l’Anru 3 « avant l’été » – « 50% des 450 projets NPNRU sont engagés, 68% des démolitions contractualisées, et plus de la moitié des réhabilitations », s’est félicité le ministre
Un enjeu de co-construction avec les habitants aussi
« Ce colloque sera une étape importante dans la réflexion sur le futur du renouvellement urbain. Nous allons tracer des objectifs pour le futur », a pu annoncer Anne-Claire Mialot ce 8 février. La journée aura permis de tracer des pistes, « avec le monde académique et scientifique pour mobiliser toutes les compétences dans le cadre des travaux de suivi et d’évaluation qui vont faire l’objet d’un dispositif renforcé que je présenterai au prochain conseil d’administration de l’Anru. » Pour Valérie Létard, le bilan de l’Anru a été celui d’un changement de modèle avec des moyens importants, et dans une approche globale appuyée sur un engagement pluriannuel de l’action publique.
« Refaire la ville sur la ville, résume-t-elle, est une entreprise complexe qui génère des changements profonds. C’est pour les habitants des quartiers que nous nous battons, pour améliorer leur cadre de vie. Ces grandes transformations ne peuvent pas se faire sans eux. Nous devons continuer à améliorer les process de co-construction des projets de renouvellement urbain. »
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