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Premier rapport sur la mise en application de la loi ZAN du 20 juillet 2023

Publié le 17 mai 2024

Alors que la publication de l’arrêté fixant la liste des projets d’envergure nationale ou européenne est imminente, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale vient de déposer un rapport d’information sur la mise en application de la loi ZAN du 23 juillet 2023. Sans surprise, différents points de vigilance sont mis en exergue, à l’instar de la garantie communale. Les rapporteurs appellent également le gouvernement à maintenir une certaine stabilité normative pour permettre aux collectivités d’adapter leurs documents d’urbanisme dans les meilleures conditions possibles. Analyse de ce rapport, avec les regards croisés de Élise Magana, avocate senior au sein du cabinet ADDEN avocats Auvergne – Rhône-Alpes à Lyon et Claire Cante, avocate au sein du cabinet ADDEN avocats Nouvelle-Aquitaine à Bordeaux.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

ZAN : un édifice législatif quasiment achevé

Un rapport d’information du 10 avril dernier élaboré par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale dresse un bilan de l’application de la loi ZAN du 20 juillet 2023, celle visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b2464_rapport-information.pdf

Dit autrement, ce rapport permet de vérifier que les textes réglementaires nécessaires à l’application de cette loi ont bien été pris, et ce, conformément à l’intention du législateur.

Sur les deux mesures réglementaires attendues, une reste en attente, c’est-à-dire l’arrêté officialisant la liste des projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) dont la publication est imminente, tandis que le décret sur la composition et les modalités de fonctionnement de la commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols a été adopté le 27 novembre 2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048466049

Bien que le rapport d’information précise que le travail entrepris par les deux députés, Mathilde Hignet et Bastien Marchive, ne s’apparente pas un exercice d’évaluation des effets de la loi, plusieurs points de vigilance égrènent toutefois les 51 pages de cette publication.

Points, pour certains, déjà soulevés par le Sénat qui s’est emparé une nouvelle fois du sujet ZAN, à travers un groupe de suivi inter-commissions sur la mise en œuvre du ZAN ainsi qu’une mission d’information sur le financement de cette politique de sobriété foncière : https://www.cadredeville.com/announces/2024/03/28/le-senat-prepare-une-troisieme-loi-zan

La territorialisation des objectifs : un calendrier qui reste ambitieux

Malgré les assouplissements successifs accordés pour la déclinaison des objectifs ZAN dans les documents de planification et d’urbanisme, le rapport relève, après avoir notamment auditionné l’association Régions de France, qu’une majorité des régions se trouve encore en difficulté pour permettre une entrée en vigueur des SRADDET révisés dans les délais imposés par la loi (novembre 2024).

En cause, le défaut de publication des PENE. Ces derniers ayant des conséquences sur l’élaboration des trajectoires de réduction de la consommation d’ENAF (espaces naturels, agricoles et forestiers) et d’artificialisation par les différents échelons des collectivités.

Indépendamment de la composante des grands projets, la deuxième loi ZAN publiée en juillet 2023 et les décrets d’application de novembre 2023, avec également l’installation de nouvelles conférences régionales de gouvernance, ont retardé la mise en route de la réforme.

Le rapport pointe également une désignation partielle des référents territoriaux chargés notamment d’assurer le suivi de l’évolution des documents de planification et d’urbanisme.

En avril 2024, 15 référents régionaux avaient été désignés sur les 18 attendus, apprend-on.

Et quant aux référents départementaux, le décalage est encore plus marqué : il y aurait eu 13 nominations, contre les 101 attendues.

Les rapporteurs appellent donc à la désignation de ces référents dans les meilleurs délais pour qu’une doctrine claire et partagée entre toutes les parties prenantes sur l’application du ZAN puisse se construire.

« Et de manière générale, un réel besoin d’ingénierie et d’accompagnement des territoires, est exprimé depuis le début de la réforme ZAN qui s’illustre par sa grande technicité », soulignent Élise Magana et Claire Cante, avocates au sein du cabinet ADDEN avocats.

Et de poursuivre : « Par exemple, plusieurs questions se posent à propos de la possibilité offerte aux collectivités d’intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation par le biais d’une procédure de modification simplifiée des PLU. »

La consommation d’ENAF résultant d’une ZAC en question

Le décompte des ZAC interroge depuis le début de la réforme : quel est l’élément déclencheur de sa comptabilisation, son acte de création ou le démarrage des travaux ?

Selon la circulaire du 31 janvier 2024, l’élément déclencheur n’est pas l’acte administratif de création ou de réalisation d’une ZAC, mais le démarrage effectif des travaux : https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/45513

De plus, le maire (ou le président de l’EPCI compétent) peut comptabiliser la consommation d’ENAF, soit en totalité au démarrage des travaux, soit progressivement au fil de leur déroulement.

Cette approche est notamment applicable pour les ZAC dont les travaux ont débuté avant 2021, et dont la consommation peut être intégralement imputée sur la période 2011-2021.

Approche contestée par le rapporteur Bastien Marchive, car elle serait en contradiction avec l’esprit des travaux parlementaires de la loi du 20 juillet 2023 qui était de permettre une comptabilisation de la consommation d’ENAF, engendrée par une ZAC générée sur la période 2011-2021, non à compter du démarrage des travaux, mais dès son acte de création.

Satisfecit pour les conférences régionales de gouvernance 

Le rapport remonte que la plupart des acteurs ont salué la composition de la nouvelle conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols, plus représentative de la diversité des territoires que l’ancienne conférence des SCoT.

Quelques régions regrettent cependant que la mise en place de cette nouvelle conférence ait eu pour conséquence de gommer le travail engagé précédemment.

Certains acteurs, de leur côté, auraient souhaité élargir la composition de cette conférence à d’autres parties prenantes, comme les agences d’urbanisme qui n’y sont pas systématiquement associées.

Des commissions régionales de conciliation bientôt en action
Ces commissions qui pourront être saisies en cas de désaccord persistant sur la liste des grands projets sont bien en cours d’installation, précise le rapport.

Pour mémoire, ces commissions sont dépourvues d’un véritable pouvoir d’opposition. Elles pourront seulement formuler une proposition dans un délai d’un mois après leur saisine. Et si cette proposition n’est pas suivie, les membres de la commission seront informés des raisons de la décision.

« Les près de 170 grands projets rendus publics récemment, mais non définitivement actés, vont inévitablement faire l’objet de critiques ou d’interrogations s’agissant des critères qui ont présidé à leur sélection, voire au calcul des emprises foncières associées », commentent les deux avocates.

« Il n’y a qu’à regarder les avis défavorables de plusieurs régions (Bretagne, Auvergne Rhône-Alpes ou Occitanie) concernant le projet d’arrêté sur la mutualisation nationale de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers des projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur, soumis à consultation publique, complètent-t-elles : https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-d-arrete-relatif-a-la-mutualisation-a3013.html

La région Bretagne dénonce, par exemple, le déséquilibre entre l’effort supplémentaire de réduction de la consommation d’ENAF sur la période 2021- 2031 et le faible nombre de grands projets sur son territoire, souligne le rapport.

Car, comme le précise la circulaire du 31 janvier 2024, cette mutualisation des grands projets au niveau national, avec un forfait qui pourrait dépasser les 12 500 hectares, conduit après péréquation à un objectif de réduction de la consommation d’ENAF de 54,5 % pour les régions couvertes par un SRADDET, par rapport à la période 2011-2021, contre 50 % auparavant.

En bref, le taux d’effort moyen imposé aux régions passe de 50 à 54,5 % à l’horizon 2031.

À noter que le gouvernement vient d’annoncer faire bénéficier tous les projets industriels (nouvelles usines et extension des usines existantes) de l’enveloppe nationale d’artificialisation de 12 500 hectares réservée aux PENE, dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, déposé au Sénat le 24 avril 2024 : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl23-550.html

« Aucun projet industriel ne sera bloqué par la mise en œuvre du ZAN » peut-on lire dans le dossier de presse de son plan d’action de simplification pour les entreprises.

La composition et le calcul de cette enveloppe nationale risquent donc de sérieusement se compliquer.

La garantie communale : le mieux est-il l’ennemi du bien ?

La surface minimale d’un hectare de consommation garantie à toutes les communes couvertes par un document d’urbanisme, appelée « garantie communale », soulève décidément bien des questions, comme le rapport s’en fait l’écho.

Non seulement, son application concrète poserait des difficultés, notamment pour la mutualisation de ses hectares à l’échelle intercommunale, mais surtout elle aurait des effets pervers.

Ainsi, la Fédération nationale des agents urbanisme (FNAU) relève que si cette garantie était appliquée par chaque commune, cela pourrait créer des situations dans lesquelles les communes se retrouveraient avec davantage d’artificialisation garantie que ce que leur permet leur trajectoire de consommation d’ENAF constatée sur la période 2011-2021.

A l’inverse, cela pourrait conduire au sein d’une même région à faire peser sur certains territoires un effort de sobriété plus important que sur d’autres.

Le droit de préemption et le sursis à statuer : comment passer aux travaux pratiques ?

« Plusieurs collectivités nous ont interrogées sur le fonctionnement du sursis à statuer, son fait générateur, sa motivation, sa durée et son articulation selon les procédures d’évolution des PLU envisagées », expliquent les deux avocates.

Autre élément de complexification, mis en relief par le rapport d’information : le décret du 27 novembre 2023 sur la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l’espace indique, qu’une autorisation d’urbanisme ne peut pas être refusée au motif qu’elle pourrait compromettre le respect des objectifs chiffrés de lutte contre l’artificialisation des sols fixés par le document d’urbanisme, dès lors qu’elle est conforme aux prescriptions d’un document d’urbanisme en vigueur.

S’agissant du nouveau droit de préemption pouvant être institué [par le projet de loi Logement présenté ce début mai au conseil des ministres], le rapport indique que des précisions pourraient être apportées concernant la procédure de détermination des zones potentielles de renaturation et de désartificialisation ou encore la procédure de fixation des indemnités de préemption.

En réponse à ces interrogations formulées par les élus, une fiche élaborée par la DHUP aurait été transmise aux services déconcentrés, précise le rapport.

Autres points de vigilance

La nomenclature des sols fixée et revue par le décret du 27 novembre 2023 continue à soulever des difficultés / https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048465959

Plusieurs organisations consultées dans le cadre de l’établissement du rapport d’information demandent à ce que cette nomenclature soit plus précise, notamment concernant les conséquences des fonctions écologiques des sols.

« Il est évident que des problèmes pratiques d’interprétation de cette nomenclature vont se poser, dès lors qu’il s’agira de qualifier précisément une parcelle », confirment Élise Magana et Claire Cante.

La nécessité d’une vigilance sur les seuils de référence utilisés pour qualifier une zone est aussi soulevée par le rapport, en particulier pour permettre un décompte le plus précis possible des surfaces artificialisées.

Quant aux opérations de renaturation, elles ne sont toujours pas clairement définies.

Autre inquiétude mise en relief, les différences de décompte de la consommation d’ENAF entre les données du Cerema, via l’observatoire de l’artificialisation, et celle obtenue au niveau local.

Par exemple, peut-on lire dans le rapport : l’artificialisation évaluée pour la région Bretagne sur la période 2021-2031 par l’observatoire s’élève à 7 862 hectares, contre 8 962 hectares avec les données du Cerama, soit un différentiel de 1 100 hectares.

Enfin, le rapport sur la fiscalité comme un outil de lutte contre artificialisation des sols, inscrit dans la loi du 20 juillet 2023, fait toujours défaut, alors qu’il était attendu début 2024.

Sachant que l’enjeu du financement et de la fiscalité du ZAN demeure fortement structurant. Une préoccupation également partagée par les sénateurs.

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Par Cadre de Ville
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