menu

La CSRD pour les entreprises publiques locales, le défi de la durabilité

Publié le 6 juin 2024

Depuis le 1er janvier 2024, les entreprises sont très occupées à anticiper ou déjà répondre aux demandes de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Près de 50 000 entreprises européennes seront bientôt concernées, dont une centaine d’Epl d’ici 2025. KPMG, partenaire conseil de la FedEpl, revient sur les enjeux juridiques du texte et les opportunités qu’il représente. Mathilde Epiard, responsable de l’offre CSRD auprès des PME et ETI au sein de KPMG, interviendra le 18 juin prochain dans le cadre du Club des DAF de la FedEpl.

Un enjeu majeur, la durabilité

Depuis le 1er janvier 2024, les entreprises sont très occupées à anticiper ou déjà répondre aux demandes de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Près de 50 000 entreprises européennes seront bientôt concernées.

Pensée au cœur du « Pacte Vert », c’est-à-dire la nouvelle stratégie de croissance durable de l’Union européenne devant conduire à sa neutralité climatique en 2050, l’objectif de cette norme est d’enjoindre les entreprises à faire face à leur responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) en communiquant de manière transparente et normée des informations extra-financières. Celles-ci seront comparables et vérifiées par un Commissaire aux Comptes ou un Organisme Tiers Indépendant. Loin de n’être qu’un exercice de remontée de données, la CSRD encouragera donc la transformation des entreprises.

Comment les Entreprises Publiques Locales (Epl) qui sont d’ores et déjà habituées à rendre compte de l’efficience de la mission publique qu’elles portent, vont-elles s’approprier ce nouvel outil de « mesure d’impact » ? Les Epl ont-elles des spécificités à faire valoir, à conserver ou à faire évoluer dans cet exercice ?

Plus largement, on se demandera autour de Mathilde Epiard, responsable de l’offre CSRD auprès des PME et ETI au sein de KPMG, si avec la CSRD, l’Epl a la possibilité de répondre à un double enjeu : celui de la sécurisation de ses financements et, tout aussi important, celui de la transformation des relations et du dialogue avec les collectivités territoriales.

 

Mathilde Epiard, de KPMG, partenaire conseil de la FedEpl. Le cabinet accompagne les Epl sur leurs enjeux de performances extra-financières, y compris en Outre-mer.

Un cadre de reporting en même temps qu’une démarche stratégique : pouvez-vous nous rappeler le champ d’application de la CSRD ?

La CSRD s’applique aux entreprises européennes ou filiales non-européennes de manière progressive et concerne (ou concernera) notamment :

  • Dès 2024, les sociétés cotées sur les marchés règlementés ayant plus de 500 salariés (publication en 2025) ;
  • Dès 2025, les grandes entreprises européennes dépassant deux des trois seuils suivants : 250 salariés ; 50 M€ de chiffre d’affaires et 25 M€ de total de bilan (publication en 2026). Une 100aine d’EPL pourraient être directement concernées.

Du fait de son ambition forte de comparabilité des engagements extra-financiers des entreprises, le cadre de ce nouveau reporting de durabilité est conséquent : un référentiel de près de 1 200 informations dont chaque entreprise devra sélectionner celles importantes (« matérielles »), les faire auditer et les rendre publiques. La sélection des informations à produire devra être réalisée à partir d’une méthodologie robuste et normée, la fameuse « double matérialité ». Il s’agira de retenir les thèmes de durabilité qui sont importants d’un point de vue financier pour l’entreprise, et/ou importants du point de vue de l’impact qu’ont leurs activités sur l’environnement et les personnes. La CSRD obligera donc les entreprises à communiquer sur leurs externalités significatives (et uniquement sur celles-ci).

Cette comparabilité des entreprises doit permettre aux acteurs bancaires et aux investisseurs d’accorder leurs fonds de manière différentiée en fonction de la durabilité du modèle d’affaires de leurs clients. Autrement dit, les informations normées du « rapport de durabilité » seront un outil précieux pour le monde de la finance afin qu’il privilégie les entreprises vertueuses. Et ceci, pour une simple et bonne raison : les établissements bancaires devront, eux aussi, s’engager vers plus de durabilité et respecter leurs propres contraintes réglementaires ESG.

Une précision qui peut être utile à quelques-uns de vos adhérents, Epl ultramarines et en particulier celles de Nouvelle-Calédonie pour laquelle nos recherches nous amènent (sur la base juridique de l’art. L930-1 du Code de commerce concernant la Nouvelle-Calédonie notamment) à considérer que ces Epl sont concernées, dans la même configuration, par la transposition nationale de la CSRD (les articles de la CSRD n’étant pas visés par les exclusions d’application du L930-1). Le texte s’applique ainsi sur l’ensemble du territoire français.

Vers une véritable stratégie de durabilité

En obligeant à une transparence et à un exercice annuel, la CSRD, au moins implicitement, demande aux entreprises soumises, la mise en œuvre d’une stratégie de durabilité de long terme. L’entreprise inclura ainsi des objectifs clairs, des mesures pour les atteindre ainsi qu’un mécanisme de suivi des progrès. Et comme pour toute démarche ESG, elle y associera les partenaires-clés de sa chaine de valeur pour engager de véritables changements de pratiques.

Il ne faut pas s’y tromper : la CSRD fait se rencontrer l’extra-financier et le financier et ouvre ainsi une nouvelle lecture de la performance globale de l’entreprise.

Question provocatrice : pourquoi s’imposer ça ? Quelles sont les opportunités pour des Epl, de répondre à la CSRD ?

La première réponse est simplement réglementaire. Si votre entreprise dépasse les seuils d’application de la CSRD, désormais transposée dans la loi française, vous êtes dans l’obligation de produire votre « rapport de durabilité » pour respecter la loi.

Il s’agit pour ses dirigeants d’éviter les sanctions financières et pénales qui ont été pensées par le législateur.

Mais anticiper l’application de la directive européenne pour vos adhérents soumis dès 2025, ce n’est pas seulement respecter la loi, c’est aussi faire un choix stratégique. Car évidemment, la spécificité des entreprises publiques locales est ici à mettre en avant.

Pour une entreprise d’intérêt général comme peut se revendiquer une Epl, être pionnière de cette « économie climatique » qui est en train de voir le jour, peut faire sens. Une Epl qui rédige, publie, donc communique son « rapport de durabilité », se positionnera naturellement en leader de ce nouveau paradigme économique auprès de l’ensemble de ses parties prenantes, et sur tout son territoire.

Outre son écosystème qu’elle vient donc influencer, l’Epl soumise à CSRD bénéficie d’une occasion unique de rendre compte de la valeur créée grâce à la durabilité.

Et au-delà de cette opportunité, c’est bien évidemment tous les bénéfices d’une mise en place d’une démarche ESG structurée qui s’offriront à elles : un critère de choix pour les (jeunes) salariés, l’innovation qui va de pair avec l’évolution des pratiques, le développement de nouveaux marchés, …etc.

Selon vous, quels sont les marqueurs actuels qui rendent nécessaires de mettre en valeur les actions extra financières des entreprises ?

Je mettrais en avant un marqueur fort : une volonté de transparence, unanime, de l’ensemble des parties prenantes sur les efforts des entreprises face aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Aujourd’hui, le prix d’un bien ou d’un service n’est pas le reflet de son coût global, c’est-à-dire de son coût économique, social et environnemental. Cette approche incomplète conduit nécessairement à des prises de décision biaisées. Ma conviction est que l’intégration d’une vision globale de la performance doit conduire les entreprises à rechercher le juste équilibre entre ces trois forces : économique, sociale et environnementale. Dans ce contexte, il me semble que les EPL ont une opportunité à saisir avec la CSRD. Celle-ci peut aider à la transformation des relations et du dialogue de gestion avec les collectivités territoriales en (re)donnant aux EPL un réel pouvoir de négociation et l’occasion de faire de la durabilité un axe nouveau de discussion.

Quel regard portez-vous sur le lien entre les financements futurs et la durabilité ?

Je vous remercie de me poser une question qui m’a été posée quasiment de la même manière par plusieurs collaborateurs de la SEMITAN Société d’Economie Mixte de Transports de l’Agglomération Nantaise, qui s’est lancée dans l’exercice CSRD en avril 2024.

Abordons d’abord la gestion des risques.

Dans un contexte de raréfaction des fonds publics ou ne serait-ce que d’allongement des délais de paiement, l’accès à des conditions optimisées de financements est capital.

Que ce soit dans le cadre d’une stratégie financière long terme ou tout simplement court terme, la maturité ESG des Epl sera de plus en plus utile au maintien de financements privilégiés. A titre d’exemple, rappelons que La Banque de France a décidé l’attribution d’une « cotation verte », sorte de note climatique pour compléter sa notation crédit. Considérons aussi la durabilité comme un moteur de performance. Selon une enquête ESG de BNP Paribas (09/2023), 76% des investisseurs considèrent le changement climatique comme un élément qui influence leur stratégie d’investissement. 54% d’entre eux projettent d’avoir recours à l’investissement à impact social. Sur ce dernier point, une entreprise d’intérêt général comme une EPL a évidemment de nombreux avantages à valoriser dans sa recherche de financements.

Selon vous, comment une Epl peut se donner les moyens de réussir « sa » CSRD ?

Qu’une entreprise publique locale décide ou non, d’être accompagnée dans la démarche de CSRD, notre expérience nous conduit à lister quelques facteurs clés de succès.

Une sensibilisation interne à l’exercice de durabilité est indispensable.

Pour les dirigeants de l’entreprise, d’abord. Une session d’explication sur les enjeux stratégiques de la CSRD auprès du CODIR, du bureau ou du CA de votre EPL est particulièrement utile pour comprendre l’engagement attendu de chaque direction.

A titre plus opérationnel, un temps de formation permet à l’équipe interne en charge du projet de se rassurer sur l’étendue de la tâche. Au programme, s’acculturer aux concepts-clés tels que la double matérialité, comprendre les attendus et la granularité de la directive ou partager ses acronymes autour d’un glossaire bienvenu.

La SEMITAN, que j’ai déjà évoquée, a ainsi décidé de former deux jours durant, une vingtaine de ses 2 200 collaborateurs, constituant l’équipe projet ainsi que certains contributeurs clés. En parallèle, un exercice de sensibilisation stratégique de 2 heures a été proposé aux seuls membres de la direction.   

L’identification, le plus tôt possible, d’une équipe de pilotage du projet est la seconde condition de réussite. Il est nécessaire de définir une équipe projet transversale et restreinte, qui s’appuiera le cas échéant sur des personnes ressources dans chacun des services de l’entreprise (RH, Qualité, Energie, SI, …).

Le respect du calendrier -particulièrement contraint- est un troisième facteur de réussite d’une démarche CSRD.

Pour les Epl soumises, la structuration du 1er rapport de durabilité (données 2025) nécessitera d’établir une feuille de route dès 2024 pour assurer une conformité lors de son audit (début 2026).

Un quatrième aspect important demande d’impliquer la gouvernance de l’entreprise tout au long de la structuration du 1er rapport (partage du résultat de la double matérialité, définition des priorités à se fixer, ambition à court, moyen, long terme, …).

Enfin, l’une des spécificités relatives aux Epl, c’est évidemment que les élus de la collectivité territoriale dont elles dépendent, devront être associés à ces phases de validation ou d’arbitrage. Là encore, la stratégie RSE de la collectivité et la feuille de route de l’Epl sont étroitement liées. Le cadre stratégique et de reporting de la CSRD doit permettre rien de moins que de légitimer tant l’impact de l’entreprise publique fille que celui de sa collectivité mère.

Un mot pour conclure ?

 Pour les entreprises, le message européen est clair : agissez maintenant ou restez au bord du chemin d’impact. A l’instar d’autres transformations importantes comme la révolution numérique, les acteurs qui agissent vite pourraient être récompensés là où les retardataires seront probablement pénalisés. En tous les cas, l’économie ESG qui est en train de naitre, définira ses nouveaux leaders.

On le sait, le changement apporte toujours son lot de défis et d’opportunités. Mais ne nous y trompons pas, les urgences environnementales et sociales auxquelles nous allons tous devoir faire face sont bien plus grandes encore.

Pour les Epl, la CSRD sera un défi majeur mais elle est déjà une opportunité. J’aurais plaisir à prolonger cette explication et la présentation de ses enjeux le 18 juin 2024, lors de la réunion du club des DAF de votre Fédération.

Par Léopold SANCHEZ-VILLAESCUSA
Top