La SemOp est la dernière-née des structures de l’économie mixte. Pouvez-vous nous préciser quelles sont ses spécificités juridiques ?
Antoine Colin-Goguel : La SemOp est effectivement un véhicule spécifique d’action des collectivités territoriales. Je pense que la manière la plus facile de comprendre cet outil est de le regarder comme l’addition d’un contrat public, qui est le point de départ, et d’une organisation. Il s’agit d’enchâsser une mission confiée à un acteur privé dans une structure où la collectivité est présente, afin d’assurer le meilleur contrôle possible de l’exécution du contrat. Toutes ses spécificités découlent de cette logique.
Barbara Kakou-Kablan : La première conséquence est que la SemOp est construite autour d’un unique contrat et se limite à son exécution. Elle prend fin au terme du contrat et n’aura pas d’autre activité que sa mise en œuvre. Une autre conséquence est qu’il n’est pas obligatoire que la collectivité soit majoritaire dans cette société : elle peut tout à fait y être minoritaire avec une participation minimale de 34% qui garantit une information suffisante et une capacité à s’opposer à certaines décisions structurantes.
Dix ans après la création des premières SemOp, quels enseignements tirez-vous en matière de gouvernance de ces opérateurs ?
BKK : Comme il s’agit d’un outil de pilotage et de contrôle d’un contrat dont l’essentiel est déjà prévu, le besoin n’est pas de créer un consensus entre élus autour de la stratégie mais d’avoir un dialogue entre quelques élus et l’opérateur sélectionné. Un conseil d’administration resserré semble donc plus efficace et évite de mobiliser trop d’élus. En revanche, il faut un comité technique solide pour appuyer et informer le conseil d’administration, comité auquel les agents de la collectivité doivent selon nous participer.
ACG : A travers le pacte d’actionnaires, la gouvernance doit reposer sur une cartographie claire de ce qui relève du partenaire et des décisions qui nécessitent un accord entre les parties. Prévoir une procédure de gestion des désaccords entre administrateurs est également bienvenu. Ce cadre peut notamment prévoir un calendrier et une négociation de second rang au sein de la collectivité d’une part, et dans la hiérarchie de l’opérateur d’autre part.
Vous venez de l’évoquer, cela signifie que le rôle des élus est un peu singulier au sein d’une SemOp. Comment l’appréhender ?
BKK : Clairement, les sujets traités au sein du conseil d’administration vont être plus opérationnels que dans une entreprise publique classique, puisqu’ils relèvent de l’exécution d’un contrat. Il est donc utile que les élus délégués par la collectivité disposent d’une dimension technique. Représentants de leur collectivité, ces élus deviennent des relais entre cette dernière et l’opérateur. Ils doivent donc trouver le bon positionnement. La formation des élus devient donc particulièrement importante.
ACG : Autant on insiste souvent sur le caractère autonome des entreprises publiques locales et sur la nécessité qu’elles disposent d’une réelle liberté d’action vis-à-vis des services de la collectivité, autant le propos est ici au contraire de contrôler efficacement l’exécution du contrat. L’implication forte des services est donc attendue, et ils doivent fonctionner en tandem avec les élus administrateurs de la SemOp.
Quel regard portez-vous sur la transparence apportée aux collectivités par la SemOp ?
ACG : Beaucoup de collectivités rencontrent des difficultés à suivre dans le détail leurs contrats publics, surtout quand ceux-ci revêtent une certaine complexité ou s’inscrivent dans des durées longues. La SemOp a ainsi été inventée pour traiter le cas des partenariats public-privé considérés comme déséquilibrés par les collectivités. Elle présente de ce point de vue deux caractéristiques centrales : en institutionnalisant la gouvernance elle met en pilotage automatique le suivi du contrat et elle induit une circulation obligatoire de l’information technique et surtout financière. La quantité d’information sous le regard des élus et des fonctionnaires est sans commune mesure avec un contrat classique.
BKK : Pour que la SemOp soit pleinement efficace, la collectivité doit donc s’organiser pour disposer d’une vision globale des flux entre la collectivité, la SemOp et l’opérateur : flux contractuels, y compris les sous-contrats internes au groupe de l’opérateur, flux liés à l’actionnariat, participation des actionnaires au financement via des prêts, comptes courants d’associés ou des garanties de prêts…
La SemOp est parfois présentée comme un mode de gestion complexe. Comment accompagnez-vous les collectivités ?
ACG : La SemOp fait parfois un peu peur vue de loin. Elle n’est en fait pas plus compliquée qu’une autre entreprise publique locale, mais nécessite de coordonner la construction simultanée d’un contrat de la commande publique, souvent complexe lui-même, avec la construction d’une société de projet pour le porter. Les collectivités n’ont pas l’habitude de jongler avec ces deux aspects en même temps, et d’ailleurs leurs conseils non plus. Néanmoins l’outil se diffuse peu à peu, et son appropriation par des collectivités plus petites et pour des contrats de plus faible ampleur s’accélère.
BKK : Nous avons réalisé un travail de revue des contrats, statuts et pactes d’actionnaires de nombreuses SemOp pour tirer les leçons techniques des dix premières années d’existence. Nous sommes donc en mesure d’aider les collectivités à comprendre cette forme de société et son utilité, et de proposer un mode d’emploi de création. En particulier, nous donnons les points d’alerte et les conseils qui permettent dès le départ de bien aborder la construction de la relation avec l’opérateur. Et bien entendu, nous échangeons avec la collectivité au fur et à mesure de l’avancée de son projet. Nous sommes également sollicités pour former sur les spécificités de la SemOp afin que les élus puissent prendre leurs fonctions en toute sécurité.