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Loi transformation de bâtiments existants en logements : de nouvelles règles d’urbanisme à arbitrer en CMP

Publié le 14 juin 2024

Enjeu majeur au regard du ZAN, la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements, vient de voir son spectre élargi par le Sénat, après son passage à l’Assemblée nationale. Dérogation au zonage PLU, permis de construire à plusieurs destinations, mesures fiscales incitatives… Différents outils sont mobilisés pour accélérer le recyclage urbain en faveur de l’habitat, tout en sécurisant les collectivités sur la maîtrise de leurs projets d’aménagement. Décryptage de ce texte très technique comportant, à ce jour, 12 articles.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

Par Sophie Michelin-Mazéran, journaliste juridique

Une proposition de loi soutenue par le gouvernement

Et de 4 ! Après la proposition de loi (PPL) sur l’habitat dégradé, la proposition de loi sur les meublés de tourisme, le projet de loi sur le développement de l’offre de logements abordables, voici la PPL visant à faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations. Pour mémoire, ce texte est issu d’une proposition de loi du député Romain Daubié, membre du groupe Démocrate. Il a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 7 mars 2024.

Après d’importants changements apportés par les sénateurs, qui ont notamment élargi le champ d’application du texte, la proposition de loi a été ensuite adoptée par la chambre haute le 22 mai 2024. Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/leg/tas23-132.html

Appuyé par le Gouvernement, ce nouveau véhicule législatif se veut consensuel dans ses objectifs (participer à l’objectif de sobriété foncière, produire des logements et limiter les émissions de gaz à effet de serre), ainsi que dans ses dispositifs dont la vocation est de lever les obstacles réglementaires, administratifs et économiques auxquelles sont actuellement confrontées les opérations de transformation.

Il devrait donc aboutir, selon toute vraisemblance, à une commission mixte paritaire conclusive, avant la fin juin.

Transformation de bâtiments existants en logements : de quoi parle-t-on ?

Selon le rapport sénatorial sur la proposition de loi en date du 15 mai 2024, les bureaux vacants représenteraient, rien qu’en Île-de-France, environ 4,4 millions de m2, en hausse d’un million de mètres carrés par rapport à 2019, et dont un quart serait en état de vacance structurelle : https://www.senat.fr/leg/ppl23-598.html

Dit autrement, le taux de vacance francilien atteindrait près de 10 % du parc, tandis que ce taux serait proche de 5 % dans plusieurs autres grandes métropoles françaises (Lyon, par exemple). Car contrairement à une idée reçue, la vacance des bureaux n’affecte pas que l’Île-de-France. Or, seulement près de 417 000 m² de logements issus de la transformation de bureaux ont fait l’objet d’une demande de permis de construire entre 2018 et 2020, dont 110 000 m² dans l’agglomération parisienne, apprend-on.

À côté de ce gisement foncier sous-exploité, il y a aussi celui constitué par les zones commerciales périurbaines représentant, de leur côté, un potentiel théorique d’environ 70 millions de mètres carrés.

Alors, pourquoi ça bloque ?

Les obstacles actuels aux opérations de transformation

Malgré les différentes tentatives législatives pour faciliter la transformation de bureaux en logements – qu’on se souvienne notamment de la loi Climat de 2021 imposant que les bâtiments, avant construction ou démolition, fassent l’objet d’une étude de réversibilité https://www.cadredeville.com/announces/2021/04/29/projet-de-loi-climat-et-resilience-la-reversibilite-des-batiments-de-nouveau-a-l2019honneur – ces opérations de recyclage ne voient toujours pas suffisamment le jour, et ce pour plusieurs raisons.

On peut citer, tout d’abord, les freins techniques.

En effet, les normes acoustiques, incendie… sont différentes pour les bureaux et les logements. Idem pour les caractéristiques techniques des immeubles (hauteur sous plafond, épaisseur des murs, nature des ouvertures…).

Ensuite, la rentabilité des projets est difficilement au rendez-vous, sans oublier le coût supporté par les collectivités, notamment en matière de nouveaux équipements publics.

À cela s’ajoutent, enfin, des freins réglementaires, en particulier en lien avec les règles d’urbanisme.

C’est seulement sur les points réglementaires, financiers et fiscaux que la proposition de loi tente d’apporter des réponses, en simplifiant les procédures et en améliorant le financement de ces opérations souvent complexes.

Transformation des bureaux et au-delà

La chambre haute, pour rendre le dispositif plus opérationnel et passer à la vitesse supérieure, a étendu le champ d’application de la proposition de loi aux : hôtels, bâtiments d’enseignement, garages, et surtout, aux zones commerciales dont la mobilisation pourrait permettre la création de plusieurs centaines de milliers de nouveaux logements, revendiquent les sénateurs. Les bâtiments agricoles désaffectés seraient également éligibles à ce texte.

En conséquence, la proposition de loi vise désormais à faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations, et plus seulement la conversion de bureaux en logements.

Dérogation au PLU et assouplissement des règles de majorité dans les copropriétés

L’article 1er de la proposition de loi permet aux maires ou présidents d’intercommunalités de donner leur feu vert à la transformation de bâtiments existants en logements, même lorsque que les PLU ou les PLUi en vigueur s’y opposent. Sous réserve, toutefois, de l’avis conforme de l’autorité compétente en matière de documents d’urbanisme.

Il s’agit donc d’une dérogation au cas par cas aux règles des PLU en matière de destination des bâtiments, et non d’un blanc-seing dans la mesure où cette dérogation restera à la main des élus locaux qui devraient pouvoir conserver un droit de regard sur l’aménagement de leur territoire.

A noter que cette nouvelle dérogation s’applique à tous types d’opérations (surélévation, programmes mixtes…) et à l’ensemble des autorisations d’urbanisme, dont la déclaration préalable.

Le Sénat est venu préciser que les opérations finales pourraient comporter une part de locaux de destination autre qu’habitation (commerces de pied d’immeuble, bureaux…) dans un objectif de mixité fonctionnelle, mais surtout afin d’en améliorer l’équilibre économique. Le Sénat s’est aussi attaché à encadrer ce nouveau dispositif dans des délais assez stricts.

Cette dérogation au PLU devrait permettre de gagner entre 6 à 12 mois en faveur des opérations de transformation, puisqu’elle permet de s’affranchir d’une révision du document d’urbanisme, souvent lourde et complexe, qui plus est, reste susceptible d’être attaquée devant le juge administratif.

Quant aux articles 6 et 7 du texte, ils modifient les règles de majorité pour favoriser, dans les copropriétés, la transformation de locaux affectés à une activité tertiaire (bureaux et commerces) en habitations. En pratique, la transformation de logements pourra être votée en assemblée générale à la majorité simple de l’article 24.

Dans la même logique, la majorité requise pour adapter la répartition des charges de copropriété, en cas de transformation, est abaissée (toujours majorité de l’article 24).

Anticiper la transformation et encourager la réversibilité avec le permis à destinations multiples

S’inspirant de précédents, comme le permis d’innover de la loi Elan de 2018 et le permis « à double état », créé spécifiquement pour les JOP 2024, la proposition de loi va encore plus loin en instaurant un permis à destinations multiples, sans plafonnement du nombre de destinations possibles, ni ordre de succession prédéfini entre elles.

Concrètement, ce permis sera délivré par le maire dans les conditions du droit commun, et dans les zones dans lesquelles cette faculté aura été ouverte dans le PLU, après avis conforme de la commune concernée. Cet outil reste, par conséquent, à la main de la collectivité qui pourra choisir de l’utiliser ou non.

Le maire pourra, en outre, exiger que soit précisée la première destination de la construction projetée. Il s’agit, là encore, de ne pas le déposséder de ses prérogatives en matière d’aménagement du territoire.

Le Sénat a décidé d’encadrer la validité de ce permis dans le temps à 10 ans, durée pouvant être prolongée deux fois pour une période de 5 ans, soit 20 ans au total, ce qui devrait permettre de donner de la visibilité aux opérateurs conduisant de tels projets.

Les règles d’urbanisme applicables durant toute la durée du projet seraient celles en vigueur au moment de la délivrance du permis. Mais, attention, cette durée de validité pourrait être remise en cause si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet ont évolué de façon défavorable à son égard. Cette disposition mériterait d’être clarifiée.

Par ailleurs, les prescriptions d’urbanisme en matière de sécurité de salubrité publiques seront applicables de plein droit aux changements de destinations ultérieures.

Améliorer l’équilibre économique des projets

Pour inciter les maires à autoriser ces opérations de transformation, le texte leur ouvre la possibilité de recourir aux projets urbains partenariaux. Pour rappel, cette convention permet de faire participer les porteurs de projet au coût des équipements publics nécessités par la réalisation du projet.

Cet outil, dont l’utilisation reste optionnelle, serait plébiscité tant par les promoteurs et aménageurs que par les associations d’élus, indiquent les sénateurs.

La proposition de loi comporte également un volet fiscal pour aplanir certains obstacles qui bloquent la création de logements à partir de bâtiments existants.

Ainsi, toujours pour rendre désirables ces opérations aux yeux des communes, les sénateurs rendent notamment automatique l’assujettissement de ces opérations à la taxe d’aménagement (TA), qui aujourd’hui n’y sont soumises que si elles portent création de surface. Toutefois, les autorités locales pourraient renoncer à la taxe d’aménagement, en fonction de la situation locale.

Et un abattement de 50 % sur l’assiette de cette taxe est mis en place pour prendre en compte l’existence d’équipements déjà financés par la TA lors de la construction initiale de l’immeuble. Cet ajout sénatorial vise à préserver la rentabilité des opérations de transformation.

Rendez-vous à la LFI 2025

Selon le ministre chargé du Logement, Guillaume Kasbarian, la proposition de loi n’épuise pas la question fiscale, et il faudra sans doute y revenir dans le cadre de la prochaine loi de finances.

Le texte prévoit également des mesures en faveur des résidences étudiantes, en rouvrant aux CROUS (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) la possibilité de recourir aux marchés de conception-réalisation et en permettant aux PLU de leur accorder des bonus de constructibilité.

De l’avis général, ce texte ne répondra pas à lui seul à la crise du logement, mais il constitue une avancée réelle sur un marché de niche.

Mais l’histoire n’est pas finie, puisque le ministre chargé du Logement a confié récemment à André Yché, ancien président du conseil de surveillance de CDC Habitat, la mission de déterminer les conditions de faisabilité, notamment financières, d’opérations de transformation d’actifs immobiliers en voie d’obsolescence. Son rapport est attendu d’ici l’été. A suivre donc.

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