menu

L’Union européenne dote les pays membres d’un règlement sur la restauration de la nature

Publié le 28 juin 2024

Avant la présidence hongroise du Conseil et alors que la droite radicale progresse au Parlement européen, le règlement pour la restauration de la nature a été adopté de justesse le 17 juin dernier. Ce texte important fixe des échéances et des objectifs contraignants pour regénérer la biodiversité. En effet, il prescrit aux 27 Etats membres de mettre en place des mesures pour restaurer au moins 20% des zones terrestres et marines de l’Union d’ici à 2030, mais aussi l’ensemble des écosystèmes dégradés d’ici à 2050. Analyse de ce règlement, dont les porteurs de projet ne pourront s’affranchir à l’avenir, avec le regard éclairé et éclairant d’Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement et de l’énergie, professeur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le règlement avait été adopté par le Parlement européen le 27 février 2024.

Logo cadre de ville
Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

Nouvelle brique à l’édifice du Pacte vert européen

Après un parcours chaotique de deux ans, le Conseil de l’Union européenne (UE) a finalement adopté in extremis le règlement sur la restauration de la nature le 17 juin 2024 : pdf (europa.eu)

« Ultime étape avant sa publication au Journal officiel de l’UE, et son entrée en vigueur immédiate dans notre droit interne. Il appartiendra ensuite à l’administration française et, in fine, au juge, d’être garants de son application », détaille Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement et de l’énergie, professeur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Ce texte-clé du Pacte vert européen vise à restaurer des zones terrestres et marines ainsi que l’ensemble des écosystèmes dégradés (marins, urbains, d’eau douce…) de l’UE.

Une ambition nécessaire, puisque selon les données communautaires plus de 80 % des habitats européens sont en mauvais état, malgré les efforts déployés par les Etats depuis plusieurs années.

Contrairement à la Hongrie ou encore à l’Italie, la France a soutenu ce texte dont la mise en œuvre permettra, en outre, de mettre l’Union en conformité avec ses engagements internationaux sur la diversité biologique (accord de Kunming-Montréal de 2022 dans le cadre de la COP15) : https://www.cadredeville.com/announces/2022/03/17/berangere-abba-reecrit-la-strategie-biodiversite-2030

« Je me réjouis de l’adoption finale de ce texte » a fait savoir Christophe Béchu, ministre de la Cohésion des territoires, par voie de communiqué de presse.

Pour rappel, ce règlement est issu d’un compromis entre le Parlement européen qui avait validé le texte, au prix de plusieurs concessions, et le Conseil : https://www.cadredeville.com/announces/2024/02/29/restauration-de-la-nature-feu-vert-du-parlement-europeen. La question agricole ayant cristallisé les débats, pour ne pas dire les crispations.

Une étape significative franchie

« Pour la première fois, un texte communautaire se préoccupe de restaurer, à l’échelle de l’Europe, les zones et les habitats détériorés, et non plus seulement d’enrayer la perte de la biodiversité. Concrètement, le nouveau règlement impose aux 27, en premier lieu, d’établir d’ici à 2030 des mesures de rétablissement d’au moins 20 % des surfaces terrestres et maritimes de l’UE, et en second lieu, de restaurer au moins 30 % des écosystèmes en mauvais états (zones humides, forêts, rivières…), toujours d’ici à 2030, avant d’arriver à 60 % d’ici à 2040, puis 90 % d’ici à 2050. On est vraiment ici sur une vision macro de la restauration de la nature », commente Arnaud Gossement.

Deux précisions importantes : jusqu’en 2030, les États membres accorderont la priorité aux sites Natura 2000 et des dispositions pour les écosystèmes agricoles pourront être temporairement suspendues dans des circonstances exceptionnelles.

Dans le détail, et sans viser à l’exhaustivité, des exigences spécifiques pour différents types d’écosystèmes sont prescrites par le règlement.

Le texte prévoit, ainsi, des objectifs assortis d’échéances pour augmenter l’indice des oiseaux communs des milieux agricoles dans chaque pays, car les oiseaux sont de bons indicateurs de l’état général de la biodiversité.

Trois milliards d’arbres supplémentaires devront également être plantés d’ici à 2030 à l’échelle de l’UE, tandis que les Etats sont appelés à restaurer au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre, à cette même échéance de 2030. Dit autrement, les 27 Etats membres devront prendre des mesures pour supprimer les obstacles d’origine humaine à la connectivité des eaux de surface.

La garantie qu’il n’y aura pas de perte nette d’espaces verts urbains et de couvert arboré d’ici à la fin de 2030 représente aussi une des mesures-clés de ce nouveau règlement.

Un règlement contraignant

En vertu de ces nouvelles règles, la France doit désormais élaborer, dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur du règlement, son plan national de restauration, dont le contenu est imposé.

« Ce plan doit décrire précisément les objectifs et les moyens de restauration des zones et des habitats dégradés », confirme Arnaud Gossement.

Par exemple, devront être mentionnés : la quantification des surfaces à restaurer, les mesures visant à satisfaire aux obligations de restauration des habitats abîmés, le calendrier de mise en place de ces mesures, une explication du système de mesures compensatoires à prendre pour chaque cas de détérioration significative…

Chaque Etat devra, de plus, assurer le suivi des progrès accomplis et, surtout, en rendre compte, sur la base d’indicateurs de biodiversité à l’échelle de l’UE.

« Heureusement, la France ne part pas de zéro et pourra se fonder sur les travaux du Muséum national d’histoire naturelle ou encore sur des données scientifiques privées », rassure l’avocat en droit de l’environnement et de l’énergie.

Sans oublier que la France fait a priori figure de bon élève avec sa politique ambitieuse du « zéro artificialisation nette » (ZAN), contribuant à préserver la biodiversité.

Les projets impactés 

« Attention, l’administration française pourrait, à l’avenir, refuser de délivrer des autorisations d’urbanisme pour des projets contrevenant aux objectifs du plan national de restauration, et ce, naturellement, sous le contrôle du juge », prévient Arnaud Gossement.

A noter qu’aucun accompagnement financier dédié n’est pas prévu par l’UE.

Cependant, il est indiqué à l’article 14 du règlement : « Les États membres peuvent promouvoir le déploiement de régimes d’aide privés ou publics au bénéfice des parties prenantes qui mettent en œuvre des mesures de restauration visées, y compris les gestionnaires des terres et les propriétaires fonciers, les agriculteurs, les forestiers et les pêcheurs ».

D’ici à 2033, la Commission réexaminera l’application du règlement et ses incidences sur les secteurs de l’agriculture, de la pêche et de la sylviculture, ainsi que de ses effets socio-économiques plus larges.

Faut-il craindre une pause européenne dans la transition écologique ?
Sans un feu vert définitif le 17 juin dernier des ministres européens de l’environnement, le règlement sur la restauration de la nature aurait peut-être fini dans les limbes, cette thématique ne faisant vraisemblablement pas partie des sujets prioritaires de la future présidence hongroise du Conseil.

Mais quel est aujourd’hui le devenir d’autres textes dédiés à l’environnement ? « Je ne suis pas très inquiet car les équilibres politiques au sein de l’Union (Conseil et Parlement) ne vont pas fondamentalement changer, et, j’espère que plusieurs textes importants en voie d’adoption, dépasseront le clivage gauche/droite », confie Arnaud Gossement.

On pense à la proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols, qui a été adoptée par le Parlement en avril dernier : Le Parlement prévoit des mesures pour assainir les sols d’ici 2050 | Actualité | Parlement européen (europa.eu) ?

Pour mémoire, cette législation ambitionne de faire en sorte que tous les sols soient en bonne santé d’ici à 2050, conformément à l’objectif « zéro pollution » de l’Union européenne. En pratique, chaque Etat membre devrait d’abord surveiller, puis évaluer ensuite, l’état de tous les sols de son territoire.

Un registre public dans tous les pays de l’UE recensant les sols contaminés, ou qui pourraient l’être, serait par ailleurs instauré, tandis que les pollueurs auraient (classiquement) l’obligation de payer pour le nettoyage des sites contaminés : https://www.cadredeville.com/announces/2024/01/04/protection-des-sols-vers-un-veritable-cadre-juridique.

L’orientation générale arrêtée le 17 juin dernier par le Conseil devrait permettre à sa présidence tournante d’entamer les pourparlers avec le Parlement européen sur la forme définitive du texte.

Les deux institutions sont donc prêtes à commencer les négociations. Toutefois, le programme sera décidé plus tard (certainement après l’été), entre les responsables du nouveau Parlement et la présidence du Conseil, apprend-on.

« En ce qui concerne le projet de directive sur les allégations environnementales, l’UE continue d’avancer », indique Arnaud Gossement. Ce texte complète l’interdiction déjà approuvée par l’UE du greenwashing, et définit notamment le type d’information que toutes les entreprises devront fournir pour justifier leurs allégations de marketing environnemental à l’avenir.

Si l’on se tourne maintenant vers l’Hexagone, la donne environnementale pourrait, cette fois, substantiellement changer, notamment sur le ZAN, en fonction des résultats des prochaines élections législatives, prévues les 30 juin et 7 juillet prochains. Certains programmes politiques annonçant déjà la couleur.

D’autres articles, publiés sur le site de Cadre de ville et accessibles aux seuls abonnés, pourraient vous intéresser :

Recul du trait de côte : 75 nouvelles communes intègrent la liste des communes exposées
Évaluation environnementale : le régime de certains projets évolue

Par Cadre de Ville
Top