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Transformation des actifs immobiliers : le rapport Yché combine incitation et sanction dans une approche urbaine globale

Publié le 12 juillet 2024

L’ancien directeur général de CDC Habitat a remis ses propositions ce vendredi au ministre du Logement, comme une pierre de touche pour l’avenir de la mutation des actifs commerciaux, d’activité et de bureaux. Après un tour de table complet des foncières, opérateurs privés, des grandes entreprises de la construction, des acteurs publics du foncier et de l’immobilier, une série de pistes peut maintenant être travaillée, sur des orientations également validées à Bercy. André Yché les présentera aux acteurs qui seront réunis le 17 octobre prochain pour les 9e Entretiens du Cadre de Ville. Sa ligne directrice : jouer de dispositifs incitatifs en même temps que de la contrainte, en s’appuyant sur l’utilité sociale que représente la nécessaire transformation des bâtiments vacants.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

« A partir de la transformation des actifs, c’est la transformation de la ville dont il est question ». André Yché avoue auprès de Cadre de Ville avoir élargi son regard, car les questions qu’amène le sujet de la transformation des actifs délaissés met en jeu l’ensemble des acteurs, et donc, des questions d’intérêt général à grande échelle. Le fondateur de CDC Habitat avait été missionné début 2024 par le ministre du Logement Guillaume Kasbarian pour tracer des pistes d’encadrement et de stimulation d’une fabrique de la transformation d’actifs immobiliers. Le rapport rendu ce 5 juillet, juste avant les élections législatives – ce qui lui donne une existence officielle – propose de jouer à la fois sur des mécanismes incitatifs, et sur une taxe ciblée sur la vacance pour faire bouger les lignes.

Interrogé sur les principales pistes de son rapport par Cadre de Ville, André Yché va à l’essentiel. « Il y a deux idées de fond. La première consiste à dire que tous les actifs de nature économique inutilisés – en intégrant le fait que certains peuvent l’être pendant une période d’ajustement, qui peut varier entre deux et quatre ans selon la nature des actifs – sont dans une situation anormale. Or, leur protection par la constitution en tant que propriété privée est précisément liée au fond à leur utilité sociale. Il ne serait donc pas anormal qu’ils fassent l’objet d’une taxe spécifique ». Toucher au droit de propriété est toujours affaire sensible, mais André Yché assure avoir vérifié la faisabilité de sa mesure du point de vue constitutionnel.

Un concept d’utilité sociale dans l’économie pour qualifier la carence de l’action publique

La deuxième idée concerne les compétences des autorités publiques « notamment des autorités locales ». Ces compétences doivent être utilisée positivement par les élus, à défaut de quoi les collectivités tomberaient dans le champ de la carence, estime André Yché, qui commente : « On a beaucoup parlé de la carence à propos de la carence de production de logements sociaux mais je rappelle que que le Conseil d’Etat sanctionne la carence fautive d’une autorité publique qui ne prend pas les décisions qu’elle devrait prendre. »
Il propose en conséquence « de retravailler » l’article 302-9-2 du code de la construction qui parle précisément de la carence, « pour l’étendre au défaut de décision dans un délai de deux ans suivant le dépôt d’une proposition de transformation ».

La sanction en cas de carence constatée consisterait à transférer la compétence d’agir au préfet. Pourrait-on transférer la compétence à la métropole ou à la région, compétente en matière de développement économique ? « Ce n’est pas mûr », estime aujourd’hui André Yché, qui penche plutôt pour un dispositif analogue à celui mis en oeuvre pour faire respecter la loi SRU. « La seule solution concrète est de transférer au préfet », dit-il, évoquant des échanges avec le préfet des Hauts-de-Seine – un département particulièrement concerné par la vacance des bureaux.

Une démarche qui touche toute l’économie immobilière

« Au fond, c’est la première fois que quelqu’un s’intéresse globalement aux ajustements sectoriels de l’ensemble de l’économie immobilière », analyse André Yché dans un entretien ce 5 juillet.
Et de poursuivre : « évidemment ça concerne le logement, mais ça conserve aussi le tertiaire, ça concerne la grande distribution à travers le commerce, et ça va bientôt concerner les zones d’activité. Les établissements publics fonciers régionaux de l’Etat me disent que leur principal problème, ce sont les zones d’activité qui datent de trente ou quarante ans, sont obsolètes en elles mêmes, mais de surcroît souffrent de l’affaiblissement de leurs ressorts traditionnels,
« L’avenir des zones d’activité économique est probablement un des sujets majeurs, débattu avec Bercy. Ce que je propose est une solution assez économique pour les finances publiques. Si on ne réagit pas maintenant, vous allez avoir dans les quatre ou cinq ans une Anru 3, une Anru 4, une Anru 5, pour traiter des friches verticales, ou des zones d’activité délaissées. Un intérêt commun bien compris c’est que l’on regarde ensemble ce que l’on peut faire d’utile. »

La leçon de trois grandes périodes de mutations urbaines

André Yché inscrit ses propositions dans le champ large de la transformation urbaine. « Une autre approche me paraît très importante pour l’avenir, et qui s’appuie sur un séquencement que l’on retrouve dans trois grandes époques de mutation de l’histoire urbaine récente : l’aménagement de Paris par Haussmann, la reconstruction après-guerre et les villes nouvelles. »

On retrouve un séquencement en quatre étapes dans les trois cas de figures, fait-il remarquer : la destruction de valeur des actifs à transformer, le remembrement, la densification puis la recréation de valeur.
« Il faut penser les choses de la même manière », estime André Yché aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle j’ai posé comme première étape la destruction de valeur à travers divers dispositifs d’encadrement, notamment le plafonnement des charges foncières par exemple comme condition d’accès à un avantage fiscal. »

Un encadrement des valeurs foncières et immobilières

Selon le chargé de mission ministériel, la valeur des charges foncières de l’actif bâti et du terrain ne devraient pas excéder un niveau permettant de produire du logement intermédiaire « dans des conditions économiquement attractives ». Ce qui veut dire dans son esprit, par exemple, un rendement locatif net de OAT + 100 points de base. Ce qui permettrait selon les auditions auxquelles il a procédé, qu’un investisseur institutionnel ait intérêt à se positionner sur un tel actif. Qu’il s’agisse d’une acquisition, ou de l’introduction par un détenteur d’actif de son bien dans une opération de transformation.

Ce qu’André Yché nomme « destruction de valeur » du point de vue du détenteur d’actif, n’est rien moins que l’encadrement des valeurs foncières bâties à destination économique. Un encadrement qu’il espère faire accepter par les réglementations actuelles, y compris européennes, en arguant du volume limité d’opérations qui seraient ainsi autorisées.

Favoriser de grandes opérations multisites

Et la question du remembrement ? On sait en effet qu’Haussmann a procédé à un remembrement général après avoir exproprié 60% de Paris et démoli 18 000 immeubles sur 30 000. De même la Reconstruction a été guidée par un remembrement général sur les ruines de la guerre, et les Villes Nouvelles sur les parcelles agricoles acquises par l’Etat…

Aujourd’hui le remembrement foncier, estime André Yché, doit se concevoir comme le développement d’opérations multi-sites à l’échelle des métropoles. « Au lieu de travailler immeuble par immeuble avec toutes les contraintes que ça va poser, et les difficultés d’équilibre économique, constituons des bouquets de huit, dix, douze, quinze objets à transformer, et recherchons à la fois l’équilibre et éventuellement des avantages fiscaux au sein d’une société de projet multi propriétaires. »

Lever les blocages des normes techniques

Ce type de « bouquets », cependant, suppose, selon André Yché, une procédure réglementaire exceptionnelle. « Sur une dizaine d’autorisation d’urbanisme sur des sites différents dans plusieurs communes d’une métropole, les maires concernés peuvent rendre un avis simple mais il ne peuvent pas aller au-delà. Cela implique là encore l’intervention du préfet, je vois pas comment faire autrement. »

André Yché propose également de s’attaquer à la question des normes techniques, bloquantes pour les changements de destination, et encore plus pour la multi fonctionnalité des bâtiments. « Je préconise la constitution de trois groupes de travail pour modifier les points bloquants de ce point de vue dans le code de l’urbanisme, dans le code de la construction, et dans le code des impôts. On pourrait envisager que les immeubles sortent de l’assiette de l’IFI pendant toute la durée de leur transformation, et qu’ils restent en dehors pendant une période de remise en exploitation, pour leur donner toutes leurs chances. La taxe sur les bureaux serait également suspendue, comme elle pourrait l’être pour les bureaux vacants aux deux-tiers pendant plus de deux ans, dès lors que le détenteur ou le gestionnaire ouvre leur usage à des acteurs de l’économie sociale et solidaire. » Dans le même esprit d’incitation, le logement social et intermédiaire qui serait produit par transformation dans l’ouest parisien compterait double au titre de la loi SRU.

Sanctionner la rétention improductive d’utilité sociale

La question de l’utilité sociale traverse le rapport. Ainsi, l’enjeu d’ensemble qui ressort est celui de la déspécialisation de la ville, en travaillant à la multiplicité des usages et des fonctions, en sortant du mono-fonctionnel, tant à l’échelle du bâtiment qu’à celle des espaces publics. C’est la base de la série de dispositifs contraignants, justifiés par l’affirmation d’un intérêt général. Ainsi, « Cette prise en compte d’un intérêt général nous pousse vers une loi foncière qui traite le foncier constructible de la même manière qu’on traite le bâti à transformer, par une sanction fiscale de la rétention spéculative. »

« Pour relancer notre économie en général, il faut relancer la productivité globale des facteurs », poursuit-il, « cette dimension qui détermine pour moitié la productivité de l’économie et la croissance ». En conséquence, des actifs qui sont détenus au nom du droit de propriété, mais qui ne sont pas utilisé en fonction de leur finalité essentielle, la production de revenus ou au moins d’utilité sociale, il faudra trouver le moyen de sanctionner leur détention, pour inciter à leur transformation. »

Une démarche « bien reçue » à Bercy

André Yché estime que sa démarche est « bien reçue » du côté de Bercy, comme une démarche préventive. « Il y aura probablement une forte attente sur les suites », estime André Yché, qui anticipe cependant aussi « évidemment des critiques sur telle ou telle mesure ». Mais il voit dans l’exercice une bonne synthèse du diagnostic partagé, et des principaux leviers qui pourraient favoriser le déploiement d’une nouvelle fabrique urbaine, celle de la transformation.

De ce fait, son rapport pourrait venir nourrir l’action de pouvoirs publics qui souhaiteraient la promouvoir en jouant avant tout sur les mécaniques des marchés, sachant que, à l’avenir, les marchés fonciers et les marchés immobiliers seront difficilement dissociables. Dans une démarche de sobriété foncière, tout terrain porte déjà un actif immobilier d’une valeur variable, mais qui vient s’ajouter aux calculs classiques des valeurs foncières par le compte à rebours. Mais les porteurs d’actifs sont eux-mêmes poussés à agir par les pertes de valeur accumulées autour d’usages désormais dépassés, ou à tout le moins en pleine transformation. En ce sens, le rapport Yché va se trouver en pleine actualité à la rentrée. Cadre de Ville y reviendra avec André Yché lui-même lors des Entretiens du 17 octobre.

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Par Cadre de Ville
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