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« La psychologie urbaine se met au chevet des projets »

Publié le 13 septembre 2024

Pour Barbara Attia, présidente de la nouvelle Fédération des acteurs de la concertation citoyenne, un quartier, une ville, un territoire, ne peuvent plus être pensés seulement entre professionnels de l’acte d’aménager. Leurs habitants sont également appelés à y prendre part. Et c’est de plus en plus le cas avec le développement des démarches de concertation volontaire au sein desquelles s’invite un nouvel acteur, le psychologue urbain. Entretien avec la fondatrice de la société Hurba, première agence « de psychologie urbaine » en France. Elle nous explique comment elle aide les porteurs de projet à une meilleure intégration de leurs opérations, en allant notamment à la rencontre de chaque habitant.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

Qu’est-ce qu’une psychologue urbaine et quel est son champ d’intervention ?
Il s’agit ici d’appliquer la discipline de la psychologie, issue des sciences humaines et sociales, au monde de l’urbain, pour améliorer les relations de chaque individu avec son environnement, et le remettre au centre des projets.
Au départ, je suis psychologue du travail et des organisations : j’ai donc épaulé nombre d’entreprises dans leurs phases de transition. Il m’a semblé tout naturel, par la suite, de poursuivre cet accompagnement humain au changement, vécu parfois comme une véritable rupture, sous l’angle de la requalification des lieux de vie.

Un psychologue, aux côtés des porteurs de projet, des maîtres d’œuvre, des collectivités ainsi que des entreprises, va recueillir, puis analyser, les ressentis, perceptions, émotions des habitants, qui expriment bien souvent un véritable besoin de se sentir écoutés et entendus, à l’occasion de projets publics ou privés.

Notre démarche consiste à poser des questions autrement que par le chiffre, afin de mettre en lumière une expertise d’usage. Dit autrement, nous ne partons pas d’un diagnostic arithmétique, mais du vécu des habitants.

Autre élément très important que je souhaite souligner : nous nous positionnons comme un tiers, neutre, impartial et dépassionné, dans le cadre de concertations volontaires, c’est-à-dire en dehors des concertations obligatoires du Code de l’urbanisme et/ou de l’environnement.

Et contrairement au processus de médiation « classique », nous intervenons en amont de la formalisation d’un conflit (un recours par exemple), mais avec un même objectif : obtenir un consensus. Cela fonctionne plutôt bien : aucun des projets sur lesquels j’ai travaillé n’a fait l’objet de recours en 8 ans d’activité.

Quels acteurs vous mandatent ?

Hurba est mandaté tant par les porteurs de projets, promoteurs et bailleurs sociaux, que par les collectivités. Nous sommes, par exemple, intervenus pour les villes de Marseille, Lille ou encore Nice. À noter peut-être une sensibilité plus forte des bailleurs sociaux aux démarches de concertation.

Mais quel que soit notre « mandant », le psychologue urbain demeure un tiers indépendant, fidèle à son code de déontologie, qui va essayer de comprendre les besoins des uns et des autres, d’être dans l’écoute et dans la sensibilisation.

Au demeurant, c’est un partenaire à part entière des projets, aux côtés des équipes de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre. Sa vocation première : prendre soin des citoyens, des quartiers, des villes et des territoires. Ces derniers ayant aussi une âme, façonnée par leur histoire et leur géographie. Son intervention complète celle des collectivités territoriales, des aménageurs, des architectes et des urbanistes.

De fait, cette démarche de concertation volontaire doit être soutenue par la collectivité, c’est même un prérequis indispensable. Preuve que la psychologie commence à s’installer dans le paysage urbain, la création récente de la Fédération des acteurs de la concertation citoyenne (la FACC France), dont j’assure la présidence.

Son objectif : rassembler les acteurs de la concertation citoyenne autour de pratiques professionnelles et assurer l’utilisation de méthodologies favorisant l’écoute des parties prenantes en vue d’une meilleure acceptabilité des projets. Nous voulons parler d’une même voix et rapidement créer au sein de cette nouvelle fédération, des collèges de maîtres d’ouvrage, de maîtres d’œuvre, de personnalités qualifiées, etc. La Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI France) a notamment manifesté son intérêt pour rejoindre le collège des maîtres d’ouvrage.

À quel moment intervenez-vous dans la vie des projets ?

Il convient idéalement de travailler dès la genèse des projets, à défaut, entre 6 à 4 mois avant le dépôt d’une autorisation d’urbanisme, si l’on prend l’exemple d’opérations immobilières.
Si nous intervenons au moment où le permis est en passe d’être déposé, cela ne fait plus sens car le projet est quasiment figé.
C’est important de prendre le temps d’écouter les habitants pour anticiper les points de tension et semer, le plus tôt possible, des éléments de confiance.

Le but final étant de permettre une appropriation progressive du projet, voire de l’ajuster si nécessaire. Tout ce temps mobilisé en amont permet, en principe, de désamorcer les conflits, et donc d’éviter le recours des riverains et des associations, mais aussi les refus de permis, côté collectivités.

À titre d’illustration, la ville de Marcq-en-Barœul (59) nous a missionnées très en amont du projet de réhabilitation du quartier de la Briqueterie, une opération d’envergure s’étalant sur 10 ans en site occupé. Nous avons eu l’opportunité de partir presque d’une feuille blanche.

Nous intervenons, par ailleurs, actuellement pour le renouvellement urbain du quartier de l’Alma, situé à Roubaix (59), avec des réhabilitations importantes de logements sociaux à la clé.

En réalité, on ne ralentit pas le temps d’élaboration du projet, mais on l’accompagne avec des informations qui viennent directement du terrain.
Par ailleurs, notre mission ne s’arrête pas au premier coup de pioche, d’autant que la phase travaux peut durer de 4 à 5 ans. Nous restons souvent des interlocuteurs privilégiés, avec le maintien d’une ligne téléphonique d’écoute. J’avoue qu’une fois le lien de confiance établi avec les habitants, il est parfois difficile pour eux, mais aussi pour nous, de le rompre !

Quelle méthodologie déployez-vous ?

Une démarche de concertation extra réglementaire ne s’improvise pas.
Tout d’abord, il y a systématiquement un cadrage avec le porteur de projet, l’élu, l’équipe de maîtrise d’œuvre, les associations et les conseils de villages éventuels, pour prendre le pouls de l’opération projetée, et, surtout, définir son périmètre. Dans la même logique, il convient de définir avec l’ensemble des parties prenantes les éléments du projet qui seront soumis au débat, et les invariables. Il y a, ensuite, une méthodologie rigoureuse à mettre en œuvre pour travailler le recueil d’informations auprès des habitants.

Généralement, nous nous appuyons sur une méthode de participation dite « quantitative », et « qualitative ». Concrètement, nous déployons, dans un premier temps, une plateforme pour faire émerger les principaux irritants, mais aussi les points positifs des projets afin de recenser le plus grand nombre de réponses possibles.

Dans un second temps, un travail de dentellière commence, avec des entretiens individuels d’habitants qui durent généralement 45 minutes. Une trame d’intervention commune est classiquement définie à l’avance pour mener ces entretiens.
Chacun peut s’exprimer librement, sans se sentir juger, et en toute confidentialité (ou tout anonymat), ce qui est plus compliqué dans le cadre de grandes réunions publiques, plus officielles. Et plus les publics sont divers, plus cet exercice est intéressant.
Nous avons, ainsi, capté plus de 200 heures d’écoute avec le projet de la Briqueterie à Marcq-en-Barœul que j’ai déjà évoqué.
Après les entretiens individuels, peuvent suivre de petits ateliers avec des experts (architectes, urbanistes, paysagistes, écologue…) sur des sujets identifiés comme sensibles.

Ce processus peut se terminer par « une grande messe », soit une réunion publique où la collectivité, le porteur de projet, l’architecte et nous-mêmes sommes présents. Mais à ce stade, le projet est déjà connu de tous les habitants. Ceux-ci ont eu voix au chapitre, et voir généralement certaines de leurs demandes intégrées à l’opération.
Certes, c’est un choix financier pour la collectivité et/ou le porteur de projet (environ 25 K€), mais à la fin tout le monde doit en sortir gagnant avec un projet, concerté et accepté, en capacité de sortir de terre parce qu’il a réussi à conjuguer échelle urbaine et échelle humaine.

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Par Cadre de Ville
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