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Le casse-tête de la TVA sur marge et les solutions pratiques

Publié le 4 septembre 2024

Depuis la réforme en 2010 de la TVA immobilière en France, un sujet ne cesse de faire litige avec l’administration fiscale : celui de la TVA sur marge. L’application du régime de la TVA sur la marge devient un véritable casse-tête pour les praticiens de la fiscalité immobilière (notaires, experts-comptables, avocats, aménageurs, Établissements Publics Fonciers, aménageurs et lotisseurs notamment). François Jacques, Directeur Associé en charge des Epl chez Sémaphores, décrypte cette situation et partage ses préconisations.

Source : freepik

En attendant le BOFIP…

Il faut bien dire que depuis 2016, la succession de réponses ministérielles (doctrine administrative opposable à l’administration) et de jurisprudences d’abord en contradiction avec ces dernières puis plus récemment en adéquation avec celles-ci, n’aide pas à la clarté du débat, même si se dessine a priori à présent une tendance de la jurisprudence communautaire et nationale récente à une restriction du champ d’application de la TVA sur la marge sur la vente d’immeubles. On note pourtant une résistance de la doctrine administrative nationale pour continuer l’application du régime de la TVA sur la marge à des situations, pourtant rejetées par la jurisprudence. Depuis la jurisprudence européenne, il est venu s’ajouter la réponse ministérielle Grau. Cette réponse nous dit que tant que le bulletin officiel des impôts (BoFip) ne sera pas mis à jour de cette jurisprudence, la doctrine administrative antérieure à la décision de la CJUE (30.9.2021) reste applicable.

… la jurisprudence française s’aligne sur la jurisprudence européenne

Plusieurs décisions de Conseil d’État ont été rendues depuis la décision de la CJUE. Celle rendue le 18 avril 2023 (Conseil d’État N° 468094 ECLI:FR:CECHS:2023:468094.20230418) est très marquante et devrait, en principe, sonner le glas de la TVA sur marge. En effet, dans sa décision, le Conseil d’État rejette l’application de la TVA sur marge en indiquant que « l’acquisition des terrains en litige, qui avait été effectuée auprès de vendeurs particuliers n’ayant pas la qualité d’assujettis, n’avait pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, sans qu’il soit justifié que le prix d’acquisition aurait incorporé un montant de taxe acquittée en amont par les vendeurs initiaux ».

Pour bénéficier du régime de TVA sur marge, je dois pouvoir démontrer que le prix du bien « incorpore » un montant de TVA acquittée en amont qui n’a pas pu être récupéré :
▪ soit que j’avais payée moi-même quand j’avais acheté (et que je n’ai pas pu déduire) ;
▪ soit, à défaut, que le vendeur précédent avait acquittée à l’étape précédente, même si notre transaction n’y avait pas été soumise (par exemple parce qu’entretemps mon vendeur avait perdu la qualité d’assujetti).

François Jacques, Directeur associé en charge des Epl chez Sémaphores

Cette situation est, en pratique, très rare. En effet, il ne devrait concerner que les ventes de terrains achetés à des particuliers qui n’auraient pas pu récupérer la TVA lors de l’acquisition. Or, pendant très longtemps, les opérations d’acquisition de terrain pour les particuliers n’étaient pas soumises à TVA. En revanche, une autre décision importante du Conseil d’État vient d’être publiée, décision rendue en chambres réunies, ce qui démontre une certaine solennité de cette décision relative à l’importance de la clause de désignation du bien dans l’acte d’acquisition par rapport à celle figurant dans l’acte de revente afin d’apprécier si le bien conserve la même qualification juridique entre l’achat et la revente dudit bien. Cette décision ouvrirait des horizons jusqu’ici inexplorés permettant peut-être l’application du régime de la TVA sur la marge si la clause de désignation des biens est clairement rédigée (CE 10ème et 9ème chambres réunies, 2 avril 2024, n° 466644).

Et la suite ?

En février 2022, dans la RM Grau, le ministre avait annoncé que le BoFip serait mis à jour une fois que le juge national aurait traduit la position de la CJUE dans ses décisions. Par conséquent, et en toute logique, le Bofip devrait à présent être prochainement mis à jour, intégrant pleinement la position émanant de la CJUE.
Cela impliquera qu’en plus de la condition d’identité juridique du bien, s’en ajoutera une autre, à laquelle n’avait pas songé le Trésor Public, mais que la CJUE a rajouté et que le Conseil d’État vient, pour la première fois, de mettre en avant. Il s’agit d’une TVA rémanente qui n’aurait pas pu être récupérée. Autant dire que le champ d’application du régime de TVA sur marge va se marginaliser et, en pratique quasiment disparaître. Toutefois, à ce jour, le BOFIP n’est toujours pas paru, et l’administration fiscale ne semble pas pressée de le publier.

Que faire pour les transactions en cours et futures transactions ?

En pratique, deux postures sont possibles :

  • Posture 1 : continuer comme avant en se référant à la doctrine fiscale toujours en vigueur
    Jusqu’à la publication du BOFIP, les aménageurs (publics et privés) et les Établissements Publics Fonciers qui cèdent des terrains à bâtir peuvent continuer à le faire en TVA sur marge dès lors que le terrain n’a pas changé d’identité (en pratique, il a été acheté un terrain et il est vendu un terrain) et qu’aucune TVA n’a été appliquée lors de l’acquisition. Si le compromis est signé avant la date de publication du BOFIP, le régime de TVA sur marge pourra s’appliquer. Il est recommandé de donner une date certaine aux avants contrats en les inscrivant dans les minutes du notaire. À compter de la publication du BOFIP, et sauf à pouvoir justifier d’une TVA rémanente non récupérée par le vendeur précédent, l’application de la TVA sur prix total devra être quasiment systématique.
  • Posture 2 : systématiser le régime de TVA sur prix total
    En se référant à la jurisprudence récente, il est possible de céder les terrains à bâtir en TVA sur prix total. Si l’aménageur cède à des entreprises ou promoteurs (qui vont pouvoir récupérer la TVA), cette solution est fiscalement neutre pour l’acheteur et elle est beaucoup plus simple et sécurisée pour le vendeur (l’application de la TVA sur marge et la détermination de l’assiette peuvent, en effet, être assez complexes à appréhender et sources de discussions avec l’administration fiscale en cas de contrôle). En pratique, plusieurs EPL ont d’ores et déjà systématisé l’application de la TVA sur prix total pour les ventes de terrains à bâtir.
Par Léopold SANCHEZ-VILLAESCUSA
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