L’installation d’un parc photovoltaïque bloqué par des permis litigieux
S’il existe bien un contentieux subtil et mouvant, c’est celui du droit de l’urbanisme. Preuve en est avec cette décision de section du Conseil d’État, publiée au recueil Lebon, qui apporte sa pierre à l’office spécifique du juge administratif en matière de régularisation des autorisations d’urbanisme.
Contrairement à un usage systématisé et étendu du pouvoir de régularisation du juge, le permis, dans cette affaire, n’est pas sauvé dans le prétoire !
En l’espèce, deux permis de construire sont délivrés en 2017 par le préfet du Vaucluse pour l’installation d’un parc photovoltaïque, à cheval sur deux communes.
Les permis sont attaqués pour irrégularités : absence de consultation de l’autorité environnementale sur le projet et insuffisances de l’étude d’impact. Cette dernière ne prendrait pas suffisamment en compte l’incidence des défrichements autorisés pour la protection contre les incendies, tout en comportant des imprécisions sur la localisation du projet.
Un jugement du tribunal administratif de Nîmes, intervenu en 2019, rejette la demande des requérants qui interjettent appel de cette décision.
Par un premier arrêt avant-dire-droit, la cour administrative d’appel de Marseille accorde en 2021 un sursis à statuer au pétitionnaire sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. Le porteur de projet dispose d’un délai de huit mois, à compter de la notification de l’arrêt, pour régulariser les permis litigieux au regard de l’insuffisance de l’étude d’impact. Pour ce faire, il procède à une nouvelle saisine de l’autorité administrative et organise une enquête publique complémentaire.
Deux nouveaux permis sont édictés en 2022.
Mais par un second arrêt de 2023, la cour administrative d’appel de Marseille annule le jugement du tribunal administratif de Nîmes. Surtout, elle considère que les illégalités entachant les permis litigieux n’ont pas été corrigés. Résultat : le juge prononce une annulation sèche des permis initiaux et des permis modificatifs (ceux de 2017 et ceux de 2022).
Une question inédite posée au Conseil d’État
La société pétitionnaire décide alors de porter l’affaire devant la plus haute juridiction de l’ordre administratif. Selon elle, le juge serait tenu de lui concéder une deuxième chance pour régulariser les permis illégaux.
La question posée au Conseil d’État peut ainsi se résumer de la façon suivante : faut-il déduire de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme qu’il autorise des régularisations successives pour un même vice affectant un permis ? Ce que le rapporteur public, Gilles Roux, dans ses conclusions relatives à la décision de la cour administrative d’appel de Marseille de 2023, formule de façon imagée : le dispositif de l’article L. 600-5-1 est-il un fusil à un ou plusieurs coups ?
Étonnamment, ce point n’avait encore jamais été soumis à la Cour suprême. Pourtant, depuis la loi Élan de 2018, le juge ne cesse de dessiner les contours des techniques de régularisation visant à donner une chance supplémentaire au pétitionnaire de réaliser son projet, sans annulation contentieuse (voir récemment).
Et en pratique, il est de plus en plus rare de voir des annulations « sèches » de permis, sans que cela ne dissuade pour autant les ardeurs contentieuses des requérants. Le contentieux de l’urbanisme restant toujours aussi vigoureux.
L’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : un joker unique
Conformément aux conclusions du rapporteur public, Nicolas Agnoux, le Conseil d’État fait une application littérale de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme dans sa décision du 14 octobre dernier.
Lorsqu’une mesure de régularisation a été notifiée au juge après un premier sursis à statuer, et qu’il apparaît que cette mesure n’est pas de nature à régulariser le vice qui affectait l’autorisation d’urbanisme initiale, il appartient au juge d’en prononcer l’annulation, sans qu’il y ait lieu de mettre à nouveau en œuvre la procédure de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme pour la régularisation du vice considéré. En bref, le juge ne peut octroyer un deuxième sursis à statuer au pétitionnaire pour un même vice. Cette deuxième chance n’ayant pas été prévue par le législateur.
Lors de l’audience publique de cette affaire, à laquelle Cadre de Ville a assisté, Nicolas Agnoux rappelle ainsi que : « La loi inscrit le permis de régularisation délivré dans le prétoire au sein d’une séquence contentieuse bien cadencée comprenant deux phases. Dans la première, lorsque les conditions sont réunies, le juge sursoit à statuer, en fixant un délai aux parties pour mener à bien la régularisation. Dans la seconde, lorsqu’une mesure de régularisation lui a été notifiée, le juge statue. Il n’est alors plus question de surseoir. Le juge doit tirer définitivement les conséquences qui s’imposent en vérifiant, le cas échéant d’office, si le ou les moyens retenus dans son jugement avant-dire-droit demeurent ou non fondés, compte tenu de la délivrance de la mesure de régularisation. »
Ne pas confondre enchâssement des régularisations et régularisations successives
Attention, la situation est différente quand le juge constate que la légalité de l’autorisation d’urbanisme prise pour assurer la régularisation de ce premier vice est elle-même affectée d’un autre vice, qui lui est propre. Dans ce cas précis il lui appartient de surseoir à statuer, sauf à ce qu’il en prononce l’annulation partielle sur le fondement de l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme.
En effet, il a déjà été jugé que la mise en œuvre successive de ces procédures de régularisation (L. 600-5-1 et L. 600-5 du Code de l’urbanisme) n’est pas interdite par les textes. Pour une illustration de cette régularisation « gigogne », voir l’arrêt du Conseil d’État en date du 17 mars 2021, n° 436073.
Cette approche rédemptrice visant à privilégier la correction à la censure immédiate s’inscrit dans le courant général du « sauvetage » des autorisations d’urbanisme. C’est la raison pour laquelle la décision commentée ici présente un intérêt non négligeable, qui plus est, symbolique, car elle va à l’encontre de cette logique de régularisation systématique des autorisations.
Une borne aux pouvoirs étendus de régularisation
En dépit des efforts continus du législateur et de la jurisprudence pour sécuriser les projets, des limites sont donc fixées aux pouvoirs de régularisation du juge. Plusieurs motifs sont avancés par le rapporteur public pour refuser l’application de manière successive de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme pour la régularisation d’un même vice.
« Admettre, après une régularisation infructueuse, un retour systématique à la case départ conduirait potentiellement le juge [qui ne peut user d’une annulation partielle si le vice affecte l’ensemble du projet, comme dans l’affaire qui vous est soumise] à multiplier indéfiniment les sursis à statuer sans jamais pouvoir clore l’instance », relève-t-il.
Et de poursuivre : « Outre un allongement excessif des délais de jugement, la thèse d’un fusil à plusieurs coups présenterait un effet pervers, en incitant le pétitionnaire à privilégier une régularisation a minima. Cela pourrait aussi encourager des stratégies contentieuses tendant à retarder délibérément la décision juridictionnelle dans l’attente de la notification adéquate du document d’urbanisme. »
Sans compter que la prolongation excessive du délai d’instance visant à donner une nouvelle chance de régularisation serait à l’origine d’autres difficultés potentielles, comme l’évolution de l’état du droit ou des documents d’urbanisme.
Puisque le pétitionnaire d’un permis attaqué ne dispose pas d’une seconde chance pour remettre son projet sur le chemin de la légalité via l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, il lui appartient donc d’être particulièrement attentif en vue de corriger le tir dans les délais impartis, si un sursis à statuer est octroyé par le juge.
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