Réactivation du projet de loi de simplification de la vie économique
Déposé au Sénat le 24 avril 2024 par l’ancien ministre de l’économie, Bruno Lemaire, le projet de loi de simplification de la vie économique a vu son examen arrêté par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Réinscrit au Sénat à la rentrée, il a été adopté le 22 octobre dernier, avec à la clé de nombreux amendements, avant sa transmission à l’Assemblée nationale.
Ce texte, très technique, d’une trentaine d’articles s’inspire d’une consultation citoyenne, à l’instar de la loi Climat, ainsi que de travaux parlementaires (rapport du 15 février 2024 : « 15 février 2024 un rapport pour « Rendre des heures aux Français » : https://www.economie.gouv.fr/files/files/2024/Rapport-projet-de-loi-sur-la-simplification.pdf?v=1708005197).
Il comporte des mesures disparates, dont certaines affectent notablement le droit de l’urbanisme, le droit de l’environnement, le droit commercial ou encore la commande publique : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0481_projet-loi.
Ce projet de loi, désormais porté par le ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique, Guillaume Kasbarian – pour qui « la simplification est un gisement majeur d’économies et de croissance » -, pourrait être examiné au plus tard début 2025 à l’Assemblée nationale.
Alléger le poids des normes pour faciliter les projets : une multiplication de règles dérogatoires
Ce texte, comme tant d’autres, ambitionne de rationaliser les normes. Soit, selon l’exposé des motifs du projet de loi : limiter les contraintes inutiles, accélérer les délais, éviter les surtranspositions des règles européennes et faciliter le règlement des litiges. Une ritournelle déjà entendue à la faveur d’autres textes.
Derrière ces vœux, il y a surtout la volonté du Gouvernement de sécuriser les projets industriels et d’infrastructures, tout en encourageant la transition énergétique et écologique de la France.
En réalité, cette simplification semble se traduire par une multiplication de règles dérogatoires en droit de l’urbanisme et de l’environnement, dans la droite ligne de la loi Industrie verte de 2023 : https://www.cadredeville.com/announces/2023/11/30/le-droit-de-l2019urbanisme-au-sortir-de-la-loi-sur-l2019industrie-verte. Peut-on en conclure une entreprise simplificatrice ? Le débat reste ouvert.
Contentieux de l’urbanisme : la chasse aux recours abusifs est relancée
Depuis la loi Elan de 2018, l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme facilite l’action en dommages-intérêts pour recours abusifs contre une autorisation d’urbanisme. Il n’esten effet plus exigé du pétitionnaire qu’il rapporte la preuve d’un préjudice excessif, par exemple. Toutefois, après cinq ans de recul, cet article demeure assez peu utilisé.
Par voie d’amendement sénatorial, et contre l’avis du gouvernement, les sénateurs proposent de préciser ce qu’il faut entendre par « comportement abusif ». L’article L. 600‑7 serait complété par un alinéa, ainsi, rédigé : « Constitue un comportement abusif un recours entaché d’irrecevabilité, présenté après le rejet pour irrecevabilité d’un recours du requérant formé contre un premier permis accordé au bénéficiaire. »
Mais il n’est pas certain que cette définition alambiquée permette de mieux sanctionner les recours abusifs.
Et peut-être que cette question sera, au final, examinée dans le cadre du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables, qui devrait faire son retour au Parlement : https://www.cadredeville.com/announces/2024/05/03/guillaume-kasbarian-presente-un-ensemble-de-mesures-incitatives-pour-deverrouiller-le-secteur-du-logement-abordable.
Exclusion du décompte ZAN des grandes industries et des projets d’intérêt national majeur
Toujours par voie d’amendement, les sénateurs Cambier et Blanc, auteurs de la récente PPL « Trace », obtiennent d’exempter totalement les implantations industrielles et les projets d’intérêt national majeur (Pene) du décompte des enveloppes d’artificialisation, pour la période 2021-2031 (cette comptabilisation à part est également inscrit dans leur proposition de loi) : https://www.cadredeville.com/announces/2024/11/21/le-zan-trace-son-chemin-vers-une-nouvelle-reforme.
Il s’agit avec cette mesure de favoriser l’installation d’implantations industrielles d’ampleur, par exemple des gigafactories, sans grever les enveloppes de consommation d’Enaf (espaces naturels, agricoles et forestiers). Cette mesure d’exemption se justifierait aussi par l’arrivée prévisible de nouveaux salariés attirés par l’installation de ces industries, impliquant la production de logements et donc de la consommation foncière.
La séquence ERC revue
C’est par l’intermédiaire d’un amendement controversé que la modification de la définition des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité a été adopté, et ce avec l’assentiment du gouvernement.
Ainsi, l’article L. 163-1 du Code de l’environnement serait modifié pour favoriser un démarrage plus rapide des projets. Pour ce faire, il conviendra désormais de compenser « dans un délai raisonnable » les atteintes environnementales, tandis que les mesures Eviter, Réduire, Compenser (dite « ERC »), ne viseraient plus un objectif d’absence de perte nette, mais à « éviter les pertes nettes » de biodiversité. Dit autrement, à une obligation de résultat pesant actuellement sur les porteurs de projet, se substituerait une obligation de moyens.
Un bémol à cet assouplissement, le décalage autorisé dans le temps de la mise en œuvre des mesures de compensation devra être justifié par des difficultés de faisabilité que rencontreraient les opérateurs, comme la difficulté à trouver du foncier.
En outre, il a paru nécessaire aux sénateurs de préciser davantage les modalités d’appréciation de la notion de « proximité fonctionnelle » instaurée par la loi Industrie verte dans la détermination du cadre géographique de mise en œuvre des mesures de compensation. Idem pour les conditions dans lesquelles la compensation peut s’appliquer à des surfaces supérieures à celles concernées par l’atteinte.
Ces précisions interviendraient par voie réglementaire.
De nouvelles dérogations au PLU
Pour permettre le déploiement d’équipements de production d’énergies renouvelables dans les immeubles collectifs, tels que les panneaux photovoltaïques, les réseaux de chaleur et de froid…, le projet de loi permet de déroger à diverses règles du PLU : emprise au sol, gabarit, hauteur, implantation et aspects extérieurs des constructions. On peut relever qu’un avis conforme du maire serait requis, dans le cas où la délivrance de l’autorisation d’urbanisme relèverait du préfet.
Toujours dans l’objectif de faciliter l’installation d’équipements de production d’énergies renouvelables, l’avis conforme de l’ABF se transformerait en avis simple pour de « petites installations », présentant une puissance inférieure à 9 kilowatts-crête, lorsque le projet serait situé dans le périmètre d’un site remarquable protégé ou aux abords d’un monument historique.
En 2023, sur les quelques 54 000 avis rendus par les ABF, environ 6 % portaient sur des installations photovoltaïques, avec une moyenne de 15 % de refus, selon une réponse ministérielle du 9 mai 2024 à une question écrite n° 10151.
Aménagement commercial et dispenses d’autorisation d’exploitation commerciale
Plusieurs mesures sont avancées en faveur de la revitalisation des commerces.
D’une part, les opérations de requalification de zones commerciales seraient favorisées via la possibilité d’un déplacement temporaire d’une activité commerciale, le temps de la réalisation des travaux, sans avoir à demander une autorisation d’exploitation commerciale (AEC). Cette dispense d’AEC se limiterait aux opérations qui ne créent pas de surface de vente supplémentaire, qui n’artificialisent pas les sols et qui sont situées à l’intérieur d’une zone d’activité économique.
Cette mesure dérogatoire pourrait servir dans le cadre du plan de transformation des zones commerciales périphériques lancé en septembre 2023, et de l’extension du programme « Action cœur de ville 2 ».
D’autre part, le projet de loi limite l’intérêt à agir des professionnels à l’encontre d’une AEC, en leur imposant de démontrer que leur activité est affectée « de manière directe et significative » par l’opération en litige. Cette règle vise à lutter contre certains recours dilatoires déposés, parfois systématiquement, par de grandes enseignes pour empêcher l’ouverture de nouveaux commerces dans leur zone de chalandise.
En contrepartie de cette restriction de l’intérêt à agir qui devrait se traduire par une diminution du nombre des recours, la commission nationale d’aménagement commercial devra indiquer l’intégralité des motifs justifiant une décision de refus ou un avis défavorable.
Autre dispositif, l’extension des secteurs d’intervention des opérations de revitalisation de territoire (ORT) à certains secteurs périphériques, comme les entrées de ville ou les zones commerciales. Le but étant de permettre, via le dispositif de l’ORT, de simplifier les modalités d’action sur les secteurs à requalifier ou à améliorer.
Enfin, le texte simplifie les réorganisations internes au sein d’un même ensemble commercial, à condition qu’il n’y ait pas d’augmentation de la surface totale de vente. Il est prévu notamment que les déplacements ou les regroupements de magasins de commerce de détail soient dispensés d’AEC, sous réserve de respecter plusieurs conditions, telles qu’une surface de vente maximale.
Autres mesures
Sans viser à l’exhaustivité des mesures contenus par le texte, le projet de loi s’intéresse également aux data centers d’une certaine envergure.
Pour ces installations, le texte prévoit qu’elles pourront être qualifiées par décret de projet d’intérêt national majeur (PINM), au sens de l’article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme, leur ouvrant ainsi l’accès à des procédures accélérées.
Elles pourront être aussi réputées répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), une des conditions pour obtenir la dérogation « espèces protégées ».
Le déploiement des antennes relais serait aussi encouragé, outre de nombreuses dispositions visant à faciliter la passation des marchés publics.
Si le Gouvernement reste en place, ce texte devrait donc être examiné par les députés rapidement. Guillaume Kasbarian ayant annoncé que le projet de loi serait enrichi à l’Assemblée nationale sur des questions relatives notamment au logement, aux collectivités locales ou encore à l’agriculture.
D’autres articles, publiés par Cadre de Ville, peuvent vous intéresser :
Logement neuf : autorisations et mises en chantier repartent à la hausse en octobre
Logement neuf : signaux contradictoires pour une filière qui a peut-être touché le fond