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Droit de l’urbanisme : bilan jurisprudentiel de l’année 2024

Publié le 17 janvier 2025

Alors que l’actualité législative et réglementaire a été quelque peu malmenée par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, le juge administratif a continué vaillamment son office, tout particulièrement s’agissant du droit de l’urbanisme. Parmi une déferlante d’arrêts, plusieurs décisions marquantes ont été rendues par le Conseil d’État, apportant d’utiles précisions tant pour les pétitionnaires que pour l’administration, notamment en matière de régularisation des autorisations. Sélection d’une dizaine de décisions qu’il ne fallait pas rater, évoquées par le GRIDAUH (Groupement de recherche sur les institutions et le droit de l’aménagement, de l’urbanisme et de l’habitat), lors de son colloque annuel du 17 décembre dernier.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

INSTRUCTION DES DEMANDES D’AUTORISATION

À quelle date intervient la notification d’une décision de refus ou de sursis à statuer ?

Par un arrêt du 24 mai 2024, mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État revient sur la date de référence à prendre en compte, en cas de notification d’une décision de refus ou de sursis à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme.

En application des articles R. 424-10 et 423-47 du Code de l’urbanisme, les notifications sont réputées effectuées à la date de la première présentation du courrier par lequel la décision est adressée aux pétitionnaires.

Les circonstances relatives à la date d’envoi de la lettre et aux délais d’acheminement de la poste importent peu, rappelle la Cour suprême.

Dit autrement, le refus de permis ou le sursis à statuer doit être notifié avant l’échéance du délai d’instruction de la demande d’autorisation, faute de quoi, une décision tacite naît, comme dans cette affaire.

L’irritante question des demandes de pièces complémentaires

Toujours cité aux tables du recueil Lebon, un autre arrêt du 30 avril 2024 précise les conditions dans lesquelles, à la suite de demandes successives de pièces complémentaires pour l’examen d’une autorisation d’urbanisme, un permis tacite ou une décision tacite de rejet est susceptible de naître.

Le Conseil d’État rappelle, tout d’abord, que lorsque le pétitionnaire n’adresse pas de pièces additionnelles (légalement autorisées et demandées par l’administration) dans le délai de trois mois pour lui permettre de compléter son dossier, une décision tacite de rejet naît à l’expiration de ce délai.

Ensuite, si le dossier demeure incomplet, les services instructeurs peuvent inviter une deuxième fois le pétitionnaire à le compléter.

Mais attention, et c’est là que se situe l’apport de l’arrêt : cette demande est sans incidence sur le cours du délai d’instruction et la naissance d’une décision tacite de rejet, dans l’hypothèse où le pétitionnaire n’aurait pas régularisé son dossier dans le délai de trois mois.

En clair, une relance de pièces manquantes par l’administration n’interrompt pas le délai de complétude de trois mois.

Ici, la notification du refus de permis était intervenue dans les délais légaux.

PROCÉDURE CONTENTIEUSE

Former un appel contre le seul sursis à statuer est un pari risqué

Les méandres particulièrement sinueux du contentieux de l’urbanisme continuent à piéger les requérants.

Pour comprendre la portée de l’arrêt du 14 mai 2024, publié aux tables du recueil Lebon, il convient de revenir sur les faits en litige.

Par un premier jugement, un sursis à statuer est prononcé sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme pour permettre au pétitionnaire de régulariser un vice tiré de la méconnaissance de certaines dispositions du PLU.

Les requérants interjettent appel de ce jugement.

Par la suite, un permis de construire modificatif est délivré.

Les requérants forment alors un recours contre le permis de construire modificatif, lequel est rejeté. Ce second jugement ne fait pas, quant à lui, l’objet d’un appel.

Or l’appel formé par le requérant contre un premier jugement prononçant un sursis à statuer devient sans objet, lorsque le second jugement qui clôt l’instance n’a pas fait l’objet lui-même d’un appel (il devient ainsi définitif)

Défaut de base légale d’une autorisation d’urbanisme

À la faveur d’une décision du 31 mai 2024 publiée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État se prononce sur une situation qui n’est pas rare : la délivrance d’une autorisation d’urbanisme sur le fondement d’un PLU abrogé.

En premier lieu, la juridiction rappelle un principe prétorien ancien, à savoir qu’une autorisation d’urbanisme ne peut être délivrée que pour un projet qui respecte la réglementation d’urbanisme en vigueur, elle ne constitue pas, pour autant, un acte d’application de cette réglementation.

Dans un second temps, elle poursuit son raisonnement en énonçant que le moyen tiré de ce qu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée au visa d’un document d’urbanisme qui n’était plus en vigueur à la date de sa délivrance ne peut être utilement soulevé à l’appui d’un recours en annulation de cette autorisation, que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes du document d’urbanisme en vigueur à la date de sa délivrance.

Par conséquent, en jugeant que le permis d’aménager portant division parcellaire avait été délivré sur la base d’un PLU abrogé, sans vérifier si ce permis méconnaissait les dispositions du nouveau PLU intercommunal en vigueur, le tribunal administratif de Grenoble a commis, dans ce dossier, une erreur de droit.

Articulation entre régularisation et évolution du projet

Dans un souci de garantir au mieux la sécurité juridique des projets de construction, le champ des possibles de la régularisation des autorisations d’urbanisme ne cesse de s’étendre au fil de l’œuvre créatrice prétorienne du juge administratif.

Ainsi, dans une décision du 11 mars 2024, naturellement citée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’État indique que le caractère régularisable d’un vice ne doit pas être seulement apprécié en fonction du seul projet existant. Il doit tenir compte également de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer celui-ci et d’en revoir, in fine, l’économie générale sans en changer la nature.

Pour le dire autrement, le juge doit s’interroger sur les évolutions possibles du projet qui permettraient sa régularisation, soit un exercice prédictif pas simple.

Régularisation en cours d’instance : pas de seconde chance pour le pétitionnaire

Dans un arrêt du 14 octobre 2024, toujours référencé dans les tables du recueil Lebon, il est aussi question des contours du pouvoir de régularisation du juge administratif en matière d’autorisation d’urbanisme, mais en y apportant, cette fois, une saine limite.

A propos du projet d’une centrale photovoltaïque au sol, la plus haute juridiction de l’ordre administratif vient fermer la voie à l’application de manière successive de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme pour la régularisation d’un même vice affectant le permis de construire initial, que la première mesure correctrice n’a pas permis de purger.

Cela signifie concrètement qu’en cas d’échec d’une première mesure de régularisation, le pétitionnaire ne bénéficie pas d’une seconde chance pour remettre son permis sur le chemin de la légalité.

Ici, le juge ne peut qu’annuler l’autorisation attaquée au regard de l’insuffisance de l’étude d’impact.

EXÉCUTION DES TRAVAUX

Lorsque les travaux portent sur une construction existante irrégulière

Dans un arrêt 30 avril 2024, publié aux tables du Recueil Lebon, un premier permis de construire est délivré par le maire au pétitionnaire pour la surélévation et l’extension d’une maison. À la suite d’un constat par procès-verbal d’infractions dans les travaux en cours de réalisation, ceux-ci sont stoppés. Pour pouvoir reprendre les travaux, le pétitionnaire sollicite un permis de construire modificatif qu’il obtient pour réparer les infractions commises.

Des requérants attaquent le permis modificatif en estimant qu’il ne faisait pas mention de travaux irréguliers faits par le passé et qu’il aurait donc dû être refusé.

Le Conseil d’État ne leur donne pas raison en jugeant que le maire ne peut pas exiger du pétitionnaire qui envisage de modifier son projet en cours d’exécution, que sa demande de permis modificatif porte également sur d’autres travaux, au motif que ceux-ci auraient été ou seraient réalisés sans respecter le permis de construire précédemment obtenu.

Il refuse donc d’étendre au permis modificatif le bénéfice de la jurisprudence Thalamy.

PÊLE-MÊLE : DESTINATION DES CONSTRUCTIONS ET OBLIGATION DE RETRAIT D’UN PERMIS TACITE

Recherche destination d’un immeuble désespérément

Une décision du 8 juillet 2024, ayant les faveurs des tables du recueil Lebon, vient donner le mode d’emploi pour déterminer la destination d’un immeuble ancien.

En effet, dans certains cas, cette destination ne peut être établie ni par les indications figurant dans les autorisations d’urbanisme antérieures, ni par les caractéristiques propres de l’immeuble.

Il appartient alors au juge administratif, devant lequel la destination en cause est contestée, d’apprécier celle-ci, en se fondant sur l’ensemble des circonstances de faits de l’espèce.

Ici, les locaux litigieux avaient perdu leur destination industrielle initiale, et au regard de leur utilisation, suffisamment établie, relevaient de l’ancienne destination des CINASPIC.

À noter qu’un guide ministériel sur l’évolution de la réglementation applicable aux destinations de constructions dans les PLU(i) a été publié en juillet 2024.

Quel sort pour le permis tacite délivré, sans l’avis conforme ?

On ne badine pas avec un avis conforme défavorable du préfet en matière d’autorisation d’urbanisme.

C’est ce qu’ont appris à leurs dépens un maire et un pétitionnaire dans une décision du 25 juin 2024, mentionnée aux tables du recueil Lebon.

Ainsi, lorsque la délivrance d’un permis de construire est subordonnée à l’avis conforme d’une autre autorité, dans cette affaire le préfet, le refus d’un tel accord s’impose au maire.

Dès lors, si la demande de permis – qui a fait l’objet d’un refus d’accord – a donné lieu à une décision d’autorisation tacite, le maire est tenu, dans un délai de trois mois de la retirer, sauf si le refus du préfet est illégal.

Tel n’était pas le cas en l’espèce : les projets de construction se situaient en dehors des parties urbanisées de la commune.

Le moyen tiré de l’absence de procédure contradictoire préalable au retrait du permis, bien que fondé (article L. 122-1 du Code des relations entre le public et l’administration) est, aux yeux de la Cour suprême, inopérant.

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Par Cadre de Ville
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