
Comment percevez-vous le rapport Yché
Le rapport Yché apporte des pistes de solutions particulièrement intéressantes mais c’est surtout son approche systémique qui m’interpelle. La crise actuelle n’est pas seulement conjoncturelle, mais structurelle. Et ce n’est pas un seul outil de défiscalisation supplémentaire qui va relancer la machine immobilière. Il faut repenser le modèle économique de la production immobilière et de la fabrique de la ville.
Comment en tant qu’élue, intégrez-vous la requalification à l’échelle de la politique publique de Villeurbanne ?
Je dois dire que c’est une intention politique forte, que la sobriété foncière et de lutte contre l’étalement urbain constitue des enjeux importants, tout en permettant de transformer la ville pour qu’elle soit vivable en 2050, 2070 à l’aune de l’augmentation des températures et des forts épisodes de précipitations. Il faut donc profiter dans chaque opération de requalification pour gagner de la pleine terre. Aujourd’hui, nous mobilisons en matière d’habitat les outils existant comme l’ANRU mais comme le souligne André Yché, nous manquons d’outils pour la ville multifonctionnelle. Penser l’habitat, le commerce, le tertiaire, l’économie productive au niveau de l’immeuble, de l’îlot, du quartier est loin d’être facile non seulement pour des questions d’usage mais aussi pour les modèles financiers. A Villeurbanne, dans un des secteurs de ville en reconversion, nous programmons des ilots qui associent de l’habitat, du tertiaire et de l’activité productive, mais clairement c’est difficile, voire contradictoire notamment au regard de la lutte contre les ilots de chaleurs. Disposer d’un corridor logistique pour de l’activité productive entraine une forte imperméabilisation des sols qui empêche de planter des grands arbres qui demain apporteront de la fraicheur.
Quels sont les blocages que vous rencontrez dans le cadre de votre mandat ?
On sent bien qu’il faut changer d’échelle dans les périmètres d’intervention et que la péréquation à l’échelle d’une opération ne suffit plus. La promotion immobilière n’est pas encore complètement prête sur ce sujet et continue de raisonner opération par opération alors que la collectivité pourrait accorder des droits à construire plus important sur un site, à condition qu’ailleurs, on ne construise pas pour créer un parc par exemple. Il faut aussi que la promotion immobilière accepte de produire des plus petites opérations dans certains secteurs pour mieux s’intégrer dans le tissu urbain existant, mais de la relier dans une logique d’opération plus vaste dans une logique de bilan global.
Villeurbanne ne connait pas la situation de l’Ile de France avec des milliers de m2 de bureaux vacants, en revanche, ceux-ci existent bien. Beaucoup de ces actifs sont anciens et doivent être profondément restructurés sans que le modèle économique ne soit aujourd’hui trouvé. Le modèle de foncière et de taxe sur les immeubles vacants proposés dans le rapport constituent des leviers intéressants.
En quoi l’économie mixte peut-elle proposer des solutions aux collectivités locales ? Et comment la SVU intervient ?
L’économie mixite a plusieurs atouts. J’en donnerai trois. Le premier c’est le temps long dans lequel elle s’inscrit. Si ses actionnaires privés, aux coté des collectivités l’acceptent, elle est capable de supporter des TRI (Taux de rentabilité interne) plus bas, permettant non seulement de supporter des couts de travaux plus élevés et de fixer des loyers plus faibles pour permettre à une économie de proximité, moins rentable de s’installer de manière pérenne en cœur de métropole. C’est un élément essentiel. Aujourd’hui, à la SVU nous posons comme pour le logement social, un objectif de 25 % de loyers immobilier économique abordable – qui se situe entre 20 et 30 % en dessous des loyers de marché. Le deuxième atout, c’est sa capacité à penser structurellement la péréquation, notamment dans le cadre des filiales. Il faut accepter des opérations moins rentables quand d’autres sont bénéficiaires. Ici cela peut se jouer au bâtiment, à l’ilot, au quartier. Enfin, le troisième outil c’est la capacité à porter des montages fonciers engagés. Aujourd’hui, à la SVU une partie du patrimoine est inaliénable. Ce qui lui permet de sortir des valeurs de référence du marché. Je suis convaincue qu’en jouant sur des montages de baux à construction, de baux à réhabilitation, de démembrement foncier bâti, on peut penser la ville qui se regénère sur elle-même. Mais pour cela, il faut que les collectivités, l’Etat mais aussi les banques acceptent ne pas vendre au plus offrant leur foncier, sinon, on ne fera que renchérir la logique de spéculation. Le foncier n’est pas un actif circulant comme les autres. Le sol est un commun qu’il faut sortir de la logique de marché.
Avez-vous un projet particulier pour illustrer la dynamique de requalification d’actifs immobilier ?
Nous avons un projet dans un secteur industriel en plein régénération. Depuis quatre ans, la SVU porte le foncier qui avait été acquis par le promoteur et avec lequel nous nous apprêtons à signer un CPI (contrat de promotion immobilière). L’objectif est de renouveler le bâti, de passer de 4 000m2 de surface utile au sol à 13 000 m2 en créant les conditions d’une activité productive en étage, ainsi qu’une petite unité de bureaux. Cette configuration va permettre une péréquation à l’échelle de cette opération en offrant des loyers aux filières émergentes et à des acteurs de l’ESS des loyers plus bas. Mais au-delà des loyers, c’est aussi une logique d’accompagnement des acteurs pour les aider à qualifier au mieux leur besoin. C’est un accompagnement sur-mesure. Et c’est peut-être cela, la clé. On doit sortir d’une logique industrielle de fabrique de la ville avec des bâtiments, des formes urbaines, de trames architecturales, des TRI toute identiques, à une ville cousue-main.