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Repenser l’approche de la fabrication de la ville

Publié le 18 mars 2025

André Yché, ancien Président du Conseil de surveillance de CDC Habitat, dresse un constat sans appel : le modèle d’urbanisme métropolitain est obsolète et menace l’attractivité des villes comme la performance économique du pays. Face à la crise immobilière, il plaide pour une transformation urgente des actifs immobiliers. Mais comment orchestrer cette mutation tout en assurant un équilibre financier viable ?

André Yché, ancien Président du Conseil de surveillance de CDC Habitat

Quelle nouvelle approche de la fabrication de la ville? Pourquoi ces usages doivent évoluer ? Quel impact économique ?

La crise immobilière est en partie due à l’obsolescence du modèle d’urbanisme métropolitain basé sur la Charte d’Athènes (espaces spécialisés, métropoles monocentriques). Celle-ci est obsolète et il faut en sortir urgemment. Pourquoi ? Parce qu’elle repose sur le modèle d’un espace urbain rationalisé et pacifié, de 500 000 habitants, constitué par juxtaposition de quartiers spécialisés : quartiers d’affaires, quartiers résidentiels, industries, commerces, universités et hôpitaux…

Ce modèle est mort du fait du changement d’échelle, qui a entraîné la saturation structurelle des transports collectifs par les déplacements pendulaires : pour les maîtriser, il faut nécessairement développer la multifonctionnalité au niveau des quartiers, des îlots, des immeubles. Et donc, revoir et assouplir les PLU, qui constituent le cadre opérationnel de l’urbanisme, pour faciliter les changements d’usage…

Si nous n’accélérons pas le mouvement de transformation des actifs, nous allons engendrer des dizaines, voire des centaines de friches urbaines qui dégraderont l’attractivité de nos métropoles… et qui accentueront la perte de productivité de notre économie : des dizaines de milliards d’euros d’actifs sous-utilisés, à terme des centaines de milliards ne manqueront pas de dégrader la combinaison des facteurs de production. Donc, il ne s’agit pas que d’immobilier, mais de performance macroéconomique !

En quoi est-il fondamental de requalifier les actifs immobiliers ?

Il n’est pas envisageable de laisser se multiplier les friches urbaines sans retrouver une utilisation pour les actifs délaissés, soit en les convertissant à de nouveaux usages, soit en les démolissant, mais alors faudra-t-il financer leur démolition et définir la vocation du foncier libéré… ? Ne pas traiter ces questions revient à préparer des ANRU 3, 4, etc. pour les vingt années prochaines… Mais, l’Etat n’aura plus les ressources nécessaires pour subventionner des opérations lourdement déficitaires.

Donc, s’il n’est plus possible de tabler sur des subventions massives, il faut bien inventer des projets créateurs de valeur… et en la matière, la meilleure manière de créer de la valeur, c’est de commencer par en détruire ! Toutes les grandes opérations d’urbanisme depuis deux siècles, obéissent à un cycle inéluctable, qu’il s’agisse des travaux d’Haussmann, de la Reconstruction d’après-guerre ou de la création de villes nouvelles : destruction de valeur, remembrement foncier, densification, recréation de valeur…

Il faudra donc parvenir à ramener la valeur des actifs à un niveau réaliste, compatible avec une opération de reconversion équilibrée.

Dans le calcul de cet équilibre, le potentiel de densification du bâti est important, mais ne peut être tenu pour acquis. C’est la raison pour laquelle il serait plus pertinent de constituer des « bouquets » de projets afin d’alimenter une péréquation d’ensemble. La conséquence, c’est que la collectivité concernée produirait un avis simple, transmis pour arbitrage final au représentant de l’Etat.

Il découle de cette observation que les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, dans le cadre des projets de transformation, doivent être repensées : l’enjeu de ce programme est autant national que local, du fait du poids des actifs à transformer ; il s’agit donc d’encadrer le processus des décisions d’urbanisme dans des délais raisonnables.

Encore faut-il que les conditions d’équilibre financier des projets soient acquises. A cette fin, l’Etat doit adresser des signaux adaptés à toutes les parties prenantes : un actif durablement inemployé, en l’absence de projet de transformation, sera, à terme, surfiscalisé.

En quoi la transformation des actifs immobiliers conditionne-t-il l’avenir de l’économie immobilière ?

Depuis un demi-siècle, l’économie immobilière ainsi que les finances locales reposent sur une dynamique d’étalement urbain : par une simple décision administrative d’urbanisme consistant à attribuer la constructibilité à un foncier qui en était dépourvu jusqu’alors, une valeur foncière « magique » est créée ex-nihilo. C’est vrai à court terme, mais il apparaît qu’en découle une multitude de coûts de réseau liés à l’aménagement et à l’urbanisation de l’espace qui s’avèrent, désormais, insoutenables. Donc, l’avenir de l’économie immobilière dépendra d’une équation nouvelle. Celle-ci, pour 80% de son contenu, relèvera de la transformation des actifs, qu’il s’agisse de la dimension financière, physique et donc politique. Pour qu’il en soit ainsi, il faut s’y préparer et beaucoup de temps a déjà été perdu à cet égard.

Et l’économie mixte dans tout cela ?

Si ses dirigeants s’emparent du sujet à bras-le-corps et à brefs délais, les Entreprises publiques locales (Epl) peuvent jouer un rôle central, aux côtés des établissements publics fonciers (EPF), pour organiser le tissu des opérateurs dans cette perspective. A cet égard, il sera nécessaire de mettre sur pied des « foncières de transformation immobilière » dans lesquelles, notamment, les outils publics auront vocation à s’impliquer.

In fine, la véritable question à régler porte sur la vision politique de l’avenir de l’économie immobilière et sur la réactivité des pouvoirs publics quant à l’envoi de signaux pertinents.

Par Philippe CLEMANDOT
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