Jean-Gabriel Faget, directeur général d’Enercal, précise le cadre particulier d’Enercal : « Notre Sem évolue dans un environnement régulé, autrement dit, nous, comme les autres opérateurs du système électrique, ne décidons pas des tarifs pratiqués ; cela structure nos comptes ». Ces derniers mois, la double crise (Covid, Ukraine) a pesé et pèse encore sur le système électrique calédonien et l’entreprise publique locale : « Le renchérissement du coût des combustibles n’est pas encore compensé par la croissance de la part du renouvelable : 50 % des prix de la production du territoire relève des combustibles fossiles. Le prix du charbon a été multiplié par 5 en l’espace de quelques mois début 2022. La hausse des tarifs de vente de l’électricité de 11 % sur la même période n’a pas suffi à équilibrer le système ; il aurait fallu augmenter ce tarif de 25 % pour être dans la réalité des coûts », précise-t-il.
Trouver des solutions sur place
Le système électrique calédonien est autonome depuis toujours, « nous ne relevons pas du système de péréquation nationale, nous avons à trouver nos ressources et nos solutions sur place. Avec sa taille et son isolement, la Nouvelle-Calédonie est naturellement vulnérable à des crises aussi majeures ». Aujourd’hui, les ventes aux 110 000 foyers calédoniens ne couvrent plus les coûts de production et d’acheminement de l’électricité. Dans cette situation, le modèle d’affaires prévoit qu’Enercal joue le rôle de trésorier du système. Notre intervention sur les 3 métiers de la production, du transport et de la distribution couplée à des plans d’économie, des reports d’investissements ou des emprunts supplémentaires nous ont permis de faire face mais… aujourd’hui, nous ne pouvons plus porter seul le déficit du système électrique ; des solutions doivent être trouvées pour pouvoir redonner à l’entreprise les moyens d’assurer ses missions dont celle de réaliser la transition énergétique de l’île.
La transition énergétique, une nécessité !
Garder le cap : « Nous devons accompagner cette autonomie souhaitée par la Nouvelle-Calédonie parce qu’elle nous rendra moins vulnérable aux variations de cours des combustibles importés et qu’elle participera à l’action planétaire de lutte contre le réchauffement climatique. Reste que cette transition est gourmande en financement. « L’époque est incertaine et délicate mais enthousiasmante parce qu’elle fait bouger les lignes sur le temps long. Les projets sont nombreux et passionnants : développer le stockage sous différentes formes pour stabiliser les réseaux et optimiser la consommation des énergies intermittentes, conserver le minimum nécessaire de production thermique mais sortir du charbon en allant vers le gaz par exemple, faire évoluer les réseaux, développer les smart grids et convaincre les consommateurs du rôle qu’ils ont à jouer en maîtrisant leurs consommations électriques.
Usines métallurgiques électro-intensives
Et accompagner la transition énergétique de la métallurgie du nickel. La totalité de l’électricité produite en Nouvelle-Calédonie alimente aux trois quarts les trois usines métallurgiques dédiées au traitement du nickel, le quart restant étant consacré à la population. Deux des trois usines sont dites électro-intensives. Le diagnostic sur la situation de cette industrie est désormais partagé, établie par un rapport récent de l’inspection générale des finances (IGF), qui dresse un tableau assez sombre de la situation. Le marché mondial du nickel est très concurrentiel et impose une productivité forte. C’est le challenge à relever pour l’industrie du nickel sur le territoire. ».
L’avenir du nickel vert
« Le nickel néo-calédonien se vend au prix du marché et s’il n’est pas suffisamment élevé, l’industriel perd de l’argent. La demande existe pour les batteries électriques mais personne ne sait dire comment elle va évoluer. L’IGF définit clairement le scénario de survie : la seule voie du salut est celle qui consiste à se distinguer au niveau international, notamment en matière de RSE par rapport aux usines indonésiennes. Certains clients commencent à prendre en compte cette plus-value vertueuse. Localement, cela passera notamment par une production décarbonée de nickel et donc d’électricité. Pour relever ce défi, des investissements importants doivent être réalisés.
Le salut est dans la réindustrialisation de la France
Et de porter un regard lucide sur la réalité telle qu’elle est : « Ce n’est pas seulement la préoccupation environnementale qui pourra faire bouger les lignes mais aussi le fait que la France s’engage dans une phase de réindustrialisation. Lors de sa dernière visite en Nouvelle-Calédonie, le président Emmanuel Macron a tenu un discours très clair ». La Sem Enercal joue ainsi un rôle de tout premier plan : « Au milieu de ce cadre géopolitique, le fait qu’Enercal soit une Sem est capital parce qu’elle est en capacité de s’adapter très vite à ce contexte très évolutif, d’être une passerelle efficace entre environnement régulé et concurrentiel », conclut-il.